mardi 1 mars 2022

La solitude des pierres (2) : Le Joueur d'Echecs, dénouement


milk and honey / Rupi Kaur


Deux semaines après le break.

Pas de nouvelles du Joueur d'Echecs.
Pas un seul message. 

Je suis fiévreuse, malade. J'ai passé des mois à dire que le Covid ne me ferait rien car je suis jeune, sportive et solide. J'ai toujours cru l'avoir eu sans m'en apercevoir. Ca ne pouvait pas être autrement : j'ai toujours fait n'importe quoi, suis sortie dans des endroits bondés, bu dans les verres des autres...
Toutefois, on est à la fin de l'hiver, je suis épuisée et déprimée, un vrai home sweet home pour les microbes et virus de tous poils.

J'aurais pourtant aimé du soutien - même lointain. Un peu d'attention ou de considération de la part de mon mec. 
Je commence à me demander si, en réalité, il l'est toujours...


Trois semaines après le break.

Mon arrêt de travail est prolongé, je suis toujours bien malade. Ok, mea culpa l'Univers : je ne dirai plus jamais que je suis invulnérable, d'accord, j'ai compris.
Mon corps a du mal à lutter contre le virus - et mon énergie et ma volonté sont aux abonnés absents.

N'y tenant plus, sachant que je suis encore isolée chez moi une semaine et que le projet d'en discuter de vive voix autour d'un verre avec lui étant impossible, je décide de lui écrire. 
Il commence par éluder ma question « Quoi, tu ne peux pas sortir ? Tu t'es blessé ? ».
Cette tournure de phrase me met en colère, presque autant que cette façon d'ignorer ma question directe : « Sommes nous toujours ensemble en réalité ? »
Je me demande si c'est un problème de concentration (mais il m'a déjà affirmé n'en avoir aucun à l'écrit), s'il gagne du temps, ou si simplement il refuse de répondre. Pense-t-il vraiment que je vais me laisser distraire ?! C'est lorsqu'il m'explique comment je dois faire mon arrêt de travail, que je répond, agacée, que mon arrêt est fait et envoyé, que j'ai su trouver les réponses et faire les choses moi même.
Plusieurs heures plus tard, il n'a pas réécrit, et je finis par préciser que je ne lui ai pas écrit pour ça. 
Il me répond donc sèchement qu'il "croyait avoir convenu d'un break" (le fait que celui-ci devait prendre fin il y a une semaine ne semble pas rentrer en ligne de compte). Qu'il est toujours fatigué et tendu, que son travail est dur, et qu'il "ne peut pas porter en plus mes attentes". Que savoir que ses négligences (selon ses propres termes) me rendent triste l'incommode.

Il est presque minuit, et je viens donc de me faire larguer par texto, par un mec qui, comme le précédent, trouve donc ennuyeux et trop compliqué d'avoir de l'attention pour moi. 
Suis-je donc à ce point insignifiante, que l'on me quitte parce que je voudrais exister, et être considérée ???

J'ai les larmes aux yeux.
...Et puis je me surprend à finalement ne pas pleurer. Après trois semaines de silence, j'avais eu le temps de me préparer un minimum, j'imagine.
J'ai tellement pleuré auparavant... Je crois que je n'ai plus de larmes pour lui.
En revanche, la colère prend le pas : c'est lui qui m'a couru après. Littéralement. Lui qui a bataillé, qui a tout fait pour me mettre en confiance, pour me séduire. Lui qui faisait déjà ce job, où la situation est chaotique depuis un an et demi - mais que sont devenu les « ça me fait du bien de te voir pour me changer les idées» ??? Lui qui a tout fait, alors que j'étais plutôt réticente. Lui, enfin, qui a souhaité être rassurant, et me faire des promesses, pour que je m'ouvre à lui - pour me quitter deux mois plus tard. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient....
Pire, si je n'avais pas amorcé la discussion, il n'aurait jamais clarifié les choses (tiens, ça me rappelle Dina....). Mais à quel point m'a-t-il raconté de la merde depuis le début ?! Et si je ne lui avais pas tiré les vers du nez, il aurait allégrement ignoré ma question, et aurait replongé dans le silence après sa diatribe sur les démarches administratives. 
Peut-être s'est-il dit que sur un malentendu, ça pourrait passer...

Je suis triste, mais pas anéantie.
Loin de là.
Par contre, j'observe : j'observe que cet énième échec appuie sur des blessures mal refermées. J'observe comme mon estime de moi est encore diminuée, face à une histoire qui se finit sur un rejet de mes besoins, de mes envies, de moi-même finalement - encore une fois. J'observe comme cette redondance va s'ériger en loi dans ma tête. J'observe comme ça me dit "Personne ne pense que tu mérites qu'on prenne soin de toi". 
J'observe le sentiment de trahison, et aussi la cruelle déception. J'observe comme reviennent les questions : suis-je à ce point un monstre ? Suis-je à ce point impossible à aimer ? Ne serais-je jamais érigée en priorité dans la vie de quelqu'un ? Qui suis-je, si personne ne veut m'accorder amour ou attention ? 
Les semaines à venir vont être éreintantes, à gérer la tristesse, et toutes ces questions et ses peurs qui vont reprendre forme, et m'empoisonner.

Je repense à Damien, que j'ai connu à 24 ans, et où tout a semblé simple dès le début. Quasi un coup de foudre, on a passé une soirée ensemble, puis on ne s'est plus quitté. Une évidence pour nous deux. On s'est très vite installé ensemble. 
Je veux retrouver ça, rien de moins : une relation que les deux protagonistes souhaitent faire avancer, pas de questions, pas de malaises, juste l'envie de passer du temps ensemble. 
C'était il y a dix ans... C'était donc à ce point extraordinaire dans une vie ?!

Des idées stupides me traversent : 
Je ne ferai plus de soirée avec Pierre et Valérie. Et lorsqu'on se croisera à nouveau, je sais d'avance qu'il y aura de la gêne et un flottement. Les amis de l'ex...
Je ne reverrai plus la colloc - pourtant, je m'y sentais bien, incroyablement sereine et intégrée. Je repense à cette soirée couscous, on était tous autour de la table de cuisine devenue trop petite, le Joueur d'Echecs, la colloc américaine, le 4e colloc pince-sans-rire, Petit-Chiot-Fou et sa copine. J'avais très chaud - ce n'était pas tant la température de la pièce, que la chaleur humaine incroyable qui sourdait de la scène, un  sentiment de plénitude, d'être à ma place. Comme dans une grande famille. 
Ca me donnait même envie de prendre une chambre dans la maison, tant l'atmosphère était chaleureuse !
Nous avions dit que nous irions faire des randonnées, et des balades en raquettes. La copine de Petit-Chiot-Fou était super emballée, et m'avait tapé dans la main. "Deal !"
... Finalement, ça n'arrivera jamais.

Je repense à cette phrase "Tout fini par s'arranger, même mal". 
C'est en y repensant, en regardant la carte dorée posée bien en évidence dans ma chambre, que j'ai décidé d'écrire au Joueur d'Echecs, et de choisir de résoudre les choses, plutôt que de laisser s'étendre encore cet étouffant silence.
Oui, d'une certaine façon, tout s'est arrangé : plus d'attentes, plus de torture. C'est aussi une  forme de soulagement. Je n'ai plus qu'à réenclencher le plan "Survivre à la rupture" : Supprimer tout ce qui se rapporte à lui et/ou qui m'y fait penser, faire des choses qui me font du bien, chercher du réconfort auprès de mes amis, me lancer des défis, faire des projets,.. J'ai si souvent mis en place ce "plan d'urgence" que je le fais sans même y penser, avec la force de l'habitude.
Been there, done that...   

Je suis furieuse de ce temps que j'ai passé à lire des choses, à essayer de le comprendre, à essayer de faire marcher une histoire qu'il n'avait pas l'envie ou l'énergie d'investir. 
Toutes ces heures à avaler des bouquins, des sites, des blogs, des vidéos - tout ce temps que j'aurais pu passer à prendre soin de moi, plutôt. 

Morgueil : « Et tu n'as pas pensé à te venger ? »
Je réfléchis quelques secondes.
« Si, il me semble que la plus belle vengeance que je pourrais avoir, c'est de me remettre rapidement, et d'être jolie, et joyeuse, et indifférente à son existence si je devais le recroiser »


Une semaine plus tard.

Dimanche.
Je reprends le travail, après plus de 3 semaines d'absence. Je suis encore faible, mais il me semble important de reprendre le cours de ma vie, car je commence à être terrifiée à l'idée de sortir de chez moi : le repli sur soi avait quelque chose de (trop) confortable...

Je devais offrir un livre au Joueur d'Echecs. Finalement, on ne se sera jamais revu... 
Avant d'aller travailler, je passerai donc le déposer dans sa boîte aux lettres, soigneusement glissé dans une enveloppe, avec les morceaux de post-it du speed-dating où il avait écrit son numéro - je les gardais sur ma table de nuit depuis cette fameuse soirée.
Me débarrasser de tout ce qui se rapporte à lui...
Avec toute mon affection, et solde de tout compte. 

Journée éprouvante : Un recommencement, et une clôture définitive.
Le plus dur, c'est de se lancer...

Ma psy, en renfort, m'invite à voir le positif :
- Au prix que je vous paye, vous ne pouvez pas plutôt être en accord avec mes idées noires ?! ... Et dire qu'on prétend que le client est roi...
- Et si vous arrêtiez de vous dire que les autres, lorsqu'ils partent, emmènent des morceaux de vous ? Vous êtes entière, vous existez quoiqu'il arrive, et même seule. Les autres choisissent de partir, c'est leur choix. Ca n'impacte pas qui vous êtes, et n'a pas à vous interroger sur le fait que vous êtes quelqu'un de bien. Vous êtes vous, et les jugements n'ont aucune place ici.
Elle tape fort, et juste. 
- Et si on devait retirer quelque chose de cette expérience, c'est que vous avez pris les choses en main, vous vous êtes exprimé, vous n'avez pas subis, vous avez été actrice de votre vie. Cet homme a choisi de ne pas répondre à vos attentes, soit. Mais vous avez eu, vous, le courage de les exprimer - et beaucoup de courage d'être allé éclaircir la situation.

Le matin, j'ai été prendre un petit déjeuner dans la ville voisine avec Mister Perfect. Il m'avait écrit il y a quelques jours « Il fait absolument que l'on trouve un moment pour s'échaper de nos vies, et prendre du temps pour se voir ».
Il m'a tenu à peu près le même discours. A qualifié le Joueur d'Echecs de "sombre connard sans aucun savoir-vivre", puis s'est fendu d'un petit « Et j'espère que tu ne vas pas encore te lancer dans une période de célibat de plusieurs années, il ne mérite pas ça ! La vraie question que tu dois te poser, ce n'est pas ce que tu fais, ou ce que tu mérites, ou que sais je, mais pourquoi tu attires ce genre de crevard. Et aussi, ça serait bien que tu deviennes une vraie connasse avec les mecs ! ». 


Actrice de ma propre vie...
Et si....
Si je tentais une dernière chose ?
Je laisse l'idée faire son chemin quelques heures. Mais en réalité j'y pense depuis des mois.
En fin d'après-midi, je prend mon téléphone, et passe un coup de fil.

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