mardi 24 décembre 2019

Fin de la conversation

Nous nous sommes retrouvés quelques jours après le début de notre conversation, un dimanche soir. 


Il rentrait de Paris, il avait plein de choses à me raconter, entre le concert donné quelques jours auparavant, et ce weekend avec des amis. 
« Je me suis demandé si je n'allais pas te proposer de venir avec moi à Paris. Finalement je ne l'ai pas fait »
« Ça aurait été bizarre vis à vis de tes amis, non ? Ils connaissent Victoria ? »
« Oui, mais mon ami connait ma situation. Et il a d'ailleurs vécu la même il y a 1 an
« .... Bon cela dit, je travaillais, alors ça règle le problème

On se vautre dans le canapé, on se raconte nos weekend respectifs. On entrecoupe nos récits de câlins et de baisers.
Puis on grignote un peu, parce que nos estomacs grondent.
Pendant le repas, il met les pieds dans le plat :
- Comment gères-tu tes angoisses depuis la dernière fois ?
Je grommelle, je rougis, comme prise en faute.
- T'en parler m'a fait du bien. Je me suis déchargé d'un poids. Même si c'est quelque chose qui reviendra régulièrement.
- C'est lié à quoi ?
Je cherche mes mots
- Hum.... Je crois que... m'attacher à toi me prive d'un certain contrôle sur moi même. Et que ce contrôle qui m'échappe me terrorise particulièrement.
- Et la peur de l'abandon ?
- Oui, il y a ça aussi. Je suis assez persuadée qu'à la minute où je m'attache à quelqu'un, cette personne me quitte.
- Et l'autre guignol - je veux dire Charles-Henri ?
- J'ai réglé mes sentiments à son sujet. Mais je dois avouer que cette histoire a été un vrai traumatisme pour moi. Ce n'est pas tant une histoire de sentiments que l'impression de ne pas avoir été respecté.
- Ça t'as peut-être renvoyé à d'autres choses, tu ne crois pas ?
- Bien sûr. Ça m'a renvoyé aux multiples abandons qui ont jalonnés ma vie, à commencer par mon père, qui est parti à ma naissance. C'est certain. Mais l'identifier ne règle pas vraiment le problème... Et puis le problème a été cette rupture sans aucun signe avant-coureur. Un vrai choc.
- Je peux t'assurer que je ne me comporterai jamais comme ça. Et si quelque chose devait se passer, je ne me cacherais pas derrière des excuses bidons. Je ferais les choses le plus proprement possible, je serais honnête. J'aimerais te montrer qu'il y a beaucoup de connards, mais que je n'en suis pas un. Ou pas complètement. Je veux te prouver qu'il y a des hommes biens. Que tu as rencontré beaucoup de connards, et je veux être un demi-connard. Un mec classe.
Il se lève, et m'enlace :
- Je ne veux pas être un connard pour toi.
Il chuchote dans mon cou :
- J'ai besoin que tu me dises que je ne suis pas un connard.
Il retourne s’asseoir, réfléchis, et dit :
- Ce qu'on peut se promettre, c'est de se dire les choses. On communique, on échange. Si quelque chose ne va pas, on se le dit aussitôt. On ne se cache surtout pas ce genre de choses.
J'approuve complètement, et je me sens soudain allégé d'un énorme poids. Oui, je crois que c'est une excellente solution et une très bonne idée.
- Après, je crois sincèrement que tu as plus de raisons de me quitter que l'inverse. Même si j'ai beaucoup à perdre. Je peux potentiellement me retrouver comme un con, avec ni toi, ni elle, si je fais n'importe quoi.
Je ris :
- Tout dépend comment tu vois les choses. Tu es le premier à dire que les personnes qui restent avec quelqu'un juste pour ne pas être seules font une grave erreur.
- Oui c'est vrai. Pour autant, je pense que Victoria est une personne extraordinaire. J'ai passé 12 ans de ma vie avec elle - on va sur la treizième année. C'est quelqu'un avec qui j'ai tellement de points communs, tellement la même vision de la vie, que je pense que je ne trouverai jamais personne avec qui je serais si proche. Je l'aime profondément, et je crois que c'est la femme de ma vie...
J'observe la sensation vertigineuse de mon cœur qui chute jusque dans mon estomac. Ouch, ça a fait mal. 
Il reprend :
- Pour autant, aujourd'hui, nous ne partageons plus grand chose. Non seulement sexuellement, mais aussi dans le temps qu'on passe ensemble : elle a surinvestit son rapport au travail, et ne parle que de cela. Je pense qu'elle fait une dépression blanche. Est-ce que je dois la quitter parce qu'elle va mal ? Je crois au contraire qu'il faut se soutenir dans ces cas là. Même si je crois que, si je venais à la quitter, ce serait un soulagement pour elle : elle pourrait se consacrer à elle, et faire enfin le point.
Je suis saisi :
- C'est rude ! Tu ne peux pas te considérer comme ça dans sa vie... C'est triste.
- Et pourtant, j'en suis persuadé. Mais je l'aime sincèrement. Différemment d'avant, mais toujours aussi fort. Tu sais... J'aimerais même qu'elle ai un amant. Si ça pouvait lui permettre d'éprouver un peu de plaisir, et de se réconcilier avec son corps, ça serait très bien. C'est tout ce que je souhaite.
J'ai la gorge nouée, un peu émue, un peu touchée. Si mon cœur se brise en entendant cette belle déclaration qui ne m'est pas adressé, objectivement je trouve cette situation tragiquement sublime.
Il enchaîne :
- Et puis il y a toi. Toi qui est arrivé dans ma vie, avec qui je passe un temps qui me rend heureux, qui m'apporte beaucoup de bonheur. J'ai constamment une folle envie de te voir, une folle envie d'être contre ton corps, une folle envie de toi [Il rit, ses yeux se plissent, il me regarde par en dessous. Je crois deviner qu'il est un peu gêné]. Toi pour qui je développe des sentiments amoureux. Ta spontanéité et ta façon de t'ouvrir et de te dévoiler, me touche énormément.

Plus tard, j'apprendrais que non seulement notre première rencontre l'a marqué (« Quand tu m'as tapoté le front en me disant que j'étais un intellectuel, je me suis dit "Toi ma cocotte, tu ne perds rien pour attendre !" »), mais que me rencontrer à l'opéra cet été à été assez décisif.
- Mais... C'était un hasard !
- Justement ! Tu ne trouves pas que c'était un signe assez énorme ? Ça fait partie de ce que j'appelle l'alignement des planètes qui nous a permis de nous rencontrer.
Je réfléchis, et je dois admettre qu'il n'a pas tort : ma directrice-adjointe m'avait donné une place une semaine avant, car elle avait un empêchement de dernière minute. J'ai accepté. Je me suis rendue seule à l'opéra, un dimanche après-midi de juin. J'ai choisi de monter l'escalier de gauche au lieu de l'escalier de droite. J'espérais tomber sur les toilettes. Et je suis tombé sur Isaac et Victoria qui attendaient devant les toilettes. Des centaines de spectateurs, et je tombe sur eux, dans l'escalier.
Lorsque j'ai été m'installer, j'avais une vue plongeante sur eux deux - et Isaac me regardait.
En sortant, on a été manger une glace tous les trois, parce qu'ils m'avaient attendu à la sortie.

Plus tard, il me dira que sa mère considère qu'il devrait quitter Victoria.
- Tu lui en as parlé ?!
(Cela dit l'info me ravit, ça fait des semaines que je crève de savoir s'il en a parlé à sa mère ou non)
- Bah évidemment ! Comment voulais-tu que je n'en parle pas à ma mère ?! Ma MÈRE !!! En plus ça se voit comme le nez au milieu de la figure !!
- Ah ben heu non ben jsais pas...
- Elle estime que notre vie de couple ne repose plus sur grand chose. Que c'est insuffisant. Mais ça renvoie à ce que je disais : faut-il quitter l'autre lorsqu'il va mal, ou être avec quelqu'un signifie aussi le soutenir en toutes circonstances ? Ma mère n'a jamais été complice avec Victoria - elle l'aime bien, mais elles n'ont pas été complices. Mais Victoria est un animal sauvage, elle ne se laisse pas approcher, c'est extrêmement difficile de l'apprivoiser. Mais il n'y a pas que ça. Si ce qu'on vit aujourd'hui me comble, tu as d'autres attentes et je l'entends. Et ça c'est aussi une question qui se pose : quelles sont tes attentes dans la vie ? Dans ta vision du couple ?
Je lâche du bout des lèvres :
- Des attentes que tu n'as pas. Je voudrais une famille. Même si c'est irrationnelle, même si objectivement je ne veux pas que ma vie change, je ne veux pas m'occuper d'un être, je ne veux pas faire de la place à un autre. Mais mon horloge biologique me rend folle. J'ai une irrépressible envie d'avoir des enfants.
De nouveau son visage rit, ses yeux se plissent. Ce n'est définitivement pas un rire joyeux.
- Tu partiras sans doute avec un homme en qui tu pourras voir le père de tes enfants. Et puis comme je te dis, dans 10 ans on se retrouvera, et on réalisera qu'en fait on était fait l'un pour l'autre.
Je lève les yeux au ciel, tout en riant. Il rit aussi, avec tout son corps, et se penche vers moi.
- Je crois plutôt que dans deux ou trois ans, j'irais en Belgique faire une PMA ou je demanderais une seringue de sperme à mes amis gays qui accepteront, et je ferais ça toute seule. Comme tout ce que j'ai pu faire de mieux jusqu'à présent !
- Tu as raison, ça fait des enfants autonomes, brillants, intelligents, et avec un très bon état d'esprit.
Il s'est à nouveau levé et m'a enlacé en disant cela. Je ris. Je sais qu'il parle de lui, élevé par sa mère.
- Combien veux-tu d'enfants ?
Je fais la moue.
- Un. Hum, peut-être deux. Maximum. J'ai été élevé en fille unique, mon frère est né lorsque j'avais 18 ans, et je crois que j'en ai un peu souffert.
- Garçon ou fille ?
- Hum... Pas d'avis. Je crois qu'il ne faut pas avoir d'attentes à ce sujet, de peur d'être déçu. Même si je suppose que je souhaite une fille, dans l'espoir d'avoir avec elle une relation aussi belle que celle que j'ai avec ma mère. Ce qui est assez commun - et je crois que les hommes souhaitent un fils pour les même raisons
Il murmure :
- Oh non, moi j'aurais aimé avoir une fille...
Je ne réagis pas sur le moment à cette énormité qu'il vient de dire.
- L'important est avant tout d'avoir un enfant en bonne santé. A qui, j'espère, je ne refilerai pas mes tendances dépressives.
Ça le fait beaucoup rire.

- Combien de temps cela fait-il qu'on est ensemble ?
- Deux moi. Et demi.
- Mon Dieu ! Ce n'est rien !
- Non. Et d'ailleurs tout dépend où tu places le début. Si c'est notre première nuit, ou si c'est après. Si c'est après, il faut décaler de 10 jours.
- Tu vois ça comment ?
- Hum... Je crois que.... Je mets le début à la première nuit.... Mais en réalité ça a vraiment commencé pour moi après. Je pensais qu'on ne se reverrait pas.
- J'ai été faible, dit-il en riant.
Je hausse les épaules
- Bah... En tout cas lorsqu’on s'est vu, j'ai cru que c'était un adieu. Surtout que tu disais n'avoir pas la place pour quelqu’un d'autre dans ta vie. J'ai cru que c'était un message. J'étais prête à partir. Je n'ai pas compris ce qui s'est passé ensuite. Et j'ai passé la nuit à chercher comment te poser la question. Je n'ai jamais trouvé.
Il me regarde, passionné.
- Et ensuite ?
- J'ai décidé de ne pas te rappeler. J'ai estimé que c'était une jolie nuit d'adieux. Si tu n'avais pas rappelé, je ne l'aurais pas fait.
Là encore, il m'observe attentivement, sourire aux lèvres. Je crois qu'il ne s'attendait pas à ça.
- Et lorsque tu m'as envoyé un message, Copine#1 (qui n'en pouvait plus de savoir ce que tu pensais, et qui cherchait juste depuis des jours à avoir la réponse à la question que je n'avais pas posé - heureusement que son mec t'as appelé et qu'elle a pu avoir le fin mot) m'a posé la question sous cette forme là : « Est-ce que tu vas plonger, choisir de vivre, ou préférer la prudence ? Toi qui, il y a 1 an, est partie au Brésil retrouver un homme avec qui tu avais passé une nuit à la Nouvelle Orléans ? »
- Tu es partie au Brésil pour retrouver un homme ?!
- Oui
- Et tu l'as retrouvé ?
- Oui
- Et c'était bien ?
- Inoubliable.
- .... Ben ça.... J'aurais jamais osé.
Je hausse les épaules.
- J'ai choisi d'aller voir ce que ça donnerait. J'ai préféré y aller que de porter le regret de ne pas avoir essayé. J'ai choisi de vivre.
Il est sidéré.
- Du coup face à cela, je ne pouvais que faire le choix de te revoir, lorsque la question s'est posée !

Plus tard on fera l'amour, il passera un temps infini à me lécher, m'emmenant aux portes de la jouissance sans que je parvienne à basculer.
Dans un état d’excitation assez dingue, je finirai pas l'attraper, lui arracher son jean, l'enserrer entre mes jambes et le pousser en moi. La sensation me fera pousser un cri rauque, et je me sentirais bien. Il jouira peu de temps après.
Puis après quelques caresses, on remettra ça. Lui derrière moi, ses mains accrochées à mes hanches, position affolante lui permettant de s'aventurer aisément sur mes seins ou mon clitoris. Alternant va et vient langoureux et à coups. Tous mon corps est réceptif, et lorsqu'il titille plus sérieusement mon clitoris, la chaleur monte à vitesse grand V. En moins de vingt secondes, je suis au bord de l'orgasme - pendant qu'il cri de plus en plus fort des "Oui !" très mélodiques, et on explose ensemble dans un orgasme simultané où l'on hurle notre plaisir en chœur - mes voisins espéraient sans doute autre chose, à 1h du matin.

J'ai le sentiment qu'on a retrouvé une grande complicité. Qu'il s'est ouvert à moi avec sincérité, sans rien occulter. Si ça a pu être rude, j'en suis toutefois touchée, et... Rassurée. Ça m'a fait un bien fou.
Je ne dis pas que je n'aurais plus peur - je me connais. Mais pour l'instant, j'ai rendormi les angoisses.

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