lundi 30 décembre 2019

Le traquenard, le doute, le sourire, le verre, le sursaut, le cadeau de noël


Je m'en apercevais depuis déjà un moment :
Un jour, au boulot, j'ai pensé au fait que je verrais Isaac le soir, et j'ai pensé à sa façon de parler, son rire, sa démarche, les expressions désuètes qu'il adore utiliser. De visualiser tout ça, j'ai été prise d'une bouffée d'affection et j'ai réalisé à quel point je l'avais dans la peau.
Comme une évidence.


Et je ne mentionnerai pas le vol (appelons ça un emprunt provisoire) d'un de ses pull juste pour avoir son odeur avec moi lorsqu'on ne se voit pas.



Depuis le résultat de l'introspection, nous nous voyons beaucoup : 3, 4, 5 fois par semaine. Nos yeux sont cernés, nous sommes épuisés, nous faisons l'amour pendant des heures, nous dormons peu, nous parlons beaucoup.
Son livre n'avance plus, mes projets sont en stand-by.
Nous nous disons qu'il va falloir qu'on s'organise mieux que ça. Il veut finir son livre, moi je veux écrire et faire une expo de peinture, mille projets de créations fébriles à nous deux, on s'encourage mutuellement, mais le temps manque terriblement.


Le traquenard.

La semaine dernière, nous sommes sortis "juste boire un verre", et puis nous sommes tombés dans un traquenard (c'est l'histoire de notre histoire) : dans le bar à vin où nous nous réunissons une fois par mois pour notre atelier œnologie, le patron vient nous faire la bise et nous dit « Il y a une dégustation, des producteurs sont là, venez ! ».
Un vigneron s'est pris d'amitié pour nous, et nous avons longuement discuté pendant qu'il remplissait régulièrement nos verres à ses frais.
Isaac et moi étions à jeûn, autant dire qu'au bout d'une heure, on s'accrochait fermement à notre tabouret pendant que la pièce tanguait dangereusement. 
J'ai fait tomber mon portable, Isaac a dit « Tu l'as cassé ? », j'ai dit « Meuh non ! », il m'a dit « Mais c'est pas une fissure ça ? », et j'ai réalisé que, non, c'était pas une fissure, c'était un impact, et que j'avais éclaté mon écran. Je me suis dit que je m'énerverai de ma maladresse demain.
Isaac voulait manger ici, il n'y avait rien de végétarien, mais je me suis arrangé avec le patron, d'une part parce qu'Isaac avait flashé sur les andouillettes, d'autre part parce que je crois que nous aurions été incapables de sortir (debout) du bar pour trouver un endroit où manger. Le patron me connait, son cuisinier aussi, et puis tout s'arrange souvent avec de la politesse et un sourire, donc j'ai pu avoir un plat bidouillé juste pour moi. 
Isaac qui m'a déjà dit qu'il était dubitatif au sujet de mon végétarisme "à cause de l'aspect social, notamment quant on sort", était épaté : 
- Mais, tu as fait ça comment ?! 
- Je suis trop forte, c'est tout.
- Mais tu es vraiment trop forte !
- Oui, je sais.
Bon, c'est plus simple pour une femme, aussi...
- Oui, c'est ça, allez, commande ton andouillette et tais toi !

Au bar, on a beaucoup discuté, énormément de cul, à un moment j'ai léché ses doigts, avant de me souvenir que je connaissais la moitié du bar.
Et que dans l'ensemble, je n'ai pas envie de finir en cellule de dégrisement avec des poursuites pour attentat à la pudeur.

En rentrant, j'avais tellement envie de lui qu'on n'a même pas pris le temps de fermer la porte de son appart.


Le doute.

Je dors mal lorsque je suis seule.

Et puis le soir où je crois pouvoir dormir, il m’envoie ça :

Bonsoir chère Mademoiselle B. Tentative d'endormissement à 23 heures en vue de repartir sur des bases saines question sommeil... Echec, je pense que je suis trop décalé. Il va falloir quand même que je retrouve un rythme de sommeil plus normal car je vois bien que je suis nettement moins performant la semaine... Ce qui ne signifie nullement que je souhaite sacrifier d'aucune manière nos longues nuits d'amour qui donnent un relief certain à mon existence.
J'ai passé un nouveau week end en compagnie de Victoria. Nouveau moment mi figue mi raisin. Elle a organisé un programme culturel et gastronomique complet spécialement pour me faire plaisir. Belle attention... Mais il a bien fallu que nous finissions par nous déchirer un moment sur le même sujet que depuis 3 mois : son absence de réponse à toutes mes interrogations concernant l'évolution de notre couple, en dépit de mes efforts acharnés pour obtenir un début de verbalisation. Les mots ne viennent pas et elle répète à l'envi qu'elle ne sait pas ce qu'elle veut. J'ai vainement essayé de la toucher sensuellement cet après-midi, simplement pour sentir sa réaction. Rien. Ce qui m'a amené à lui dire une vacherie que je regrette. Je suis ahuri par le fait d'être la personne qui la connaît le mieux sur terre et pourtant j'ai les sentiment d'être devenu un étranger en qui elle n'a pas assez confiance pour se confier. Pour la première fois j'ai parlé de rupture si ça continue ainsi. Je vois bien que ça lui fait mal. Et qu'elle souffre. Mais pas moyen d'obtenir autre chose que des larmes. Je lui ai proposé de passer à l'écrit car visiblement les mots ne viennent par la parole en ma présence. A voir... Triste. D'autant que je l'aime d'un amour entier.

[...]
Soudain je suis glacée, soudain je me demande où est ma responsabilité là dedans.
Lorsque je lui répond, c'est pour prendre sa défense et lui dire qu'il doit arranger les choses avec elle : « Elle s'est donné du mal, et toi tu l'attaques alors qu'elle est déjà sur la défensive ! Tu ne peux pas faire ça ! »
Avant de me dire que cette situation devient schizophrénique, et que je ne sais plus comment me positionner.

La semaine suivante, après de longs messages comme on en a le secret, nous nous sommes retrouvés. Plaisir de parler pendant des heures, digressions, rebondissements sans fin. Nous rions, nous sommes à l'aise, nous sommes si bien.
Je le regarde, fascinée, mettre un temps infini à couper du fromage pour mettre dans la salade. Il capte mon regard, et lance :
- Je sais, je suis d'une très grande efficacité
Je me disais justement que ça devrait me rendre complètement folle, me donner envie de prendre le couteau et le jeter de la cuisine si je veux encore manger aujourd'hui. Mais non : là encore, ça me fait rire et me touche.

- Tout de même, j'ai repensé au traquenard dans lequel je suis tombé... Vous vous êtes tout de même mis à 3 pour me faire tomber dans un piège.
- J'aimerais tout de même qu'on reprécise dans le contexte que tu avais des capotes dans ta poche
- Oui, au cas où !
- Donc tu venais tout de même avec une idée derrière la tête.
- Alors... C'es pas tout à fait ça [se défend-il laborieusement pendant que j'éclate de rire]. Il s'avère que le-mec-de-copine#1 m'a chauffé à mort dès que l'invitation était lancé.
Je rigole un peu moins :
- Ah tiens ?!
- Lorsque vous êtes parti fumer toutes les deux dehors, avec Copine#1, il m'a dit (je cite) "Mademoiselle B. brûle de désir pour toi, tu vas faire quoi ?"
- Oh, c'est joliment dit !
- N'est-ce pas ?! Ce sont ses mots exacts. Et l'après-midi, il m'a dit que tu allais m’enchaîner à ton lit si je venais. Et d'autres trucs... Il a passé l'aprem à me chauffer en fait.
Ça me fait rire, moi qui n'y croyais tellement pas que je ne m'étais même pas épilé.
Et finalement, il a fait la même chose pour moi : me persuader qu'Isaac était complètement accro. C'est d'ailleurs à ça que je pense lorsqu'il me dit :
- On s'est un peu fait avoir non ? Il a joué l'entremetteur tout du long...
- .... Je crois que oui...
Petit silence pensif.
- Bon, cela dit, tu m'as envoyé des signaux, et ça c'était pas lui !
- Oui, alors, bon, attends, ok, mais avant ça ?! Parce que c'est bien beau de me dire que j'ai envoyé des signaux. Ça a commencé comment pour toi ?
On se regarde. Je ne peux pas dire que le-mec-de-copine#1 a dit à Copine#1 qu'Isaac m'aimait bien,  et qu'elle me la répété. En plus si ça se trouve, c'est pas vrai, il a juste joué l'entremetteur (et ça a marché), je ne veux pas avoir l'air con. Isaac est peut-être en train de se dire la même chose.
- Bon... Il y a eu 3 soirées...
- Oui
- La soirée beaujolais. Où tu as tapoté mon front en disant "Toi, tu es un intellectuel". Je ne l'ai pas du tout mal pris. (il sourit) Je me suis dit... Je me suis dit exactement... "Toi ma cocotte, tu ne perd rien pour attendre !"
J'éclate de rire.
- Ah oui ?!
- Puis la soirée œnologie, que l'on a fait avec Copine#1, son mec, et il y avait aussi ta mère. Bon... Sylvain a été lourd... Et il a fait du placement de produit.
J'acquiesce en riant.
- Et puis la soirée œnologie que l'on a fait tout les deux. Où on a beaucoup discuté. Où tu m'as ramené. J'hésitais à te proposer de monter. Je ne l'ai pas fait.
- Je ne sais pas si j'aurais accepté...
- Ah oui ?
- En revanche, tu m'aurais embrassé, je ne t'aurais pas du tout repoussé...
- J'ai failli.... J'ai hésité...
- Et tu as préféré te jeter en bas de ma voiture, donc.
- Je fuyais ma propre envie.
Je ris doucement. Je trouve ça assez beau. Il reparle de cet "alignement des planètes". Le concert, et puis cet été, où on s'est croisé à l'opéra. 
« Si nous avions flirté comme ça il y a deux ans, ou même quelques mois en arrière, ça n'aurait rien donné ».
Tout tient à tellement peu de choses... Moi qui ai l'impression qu'on rate le coche, que nos vies se croisent et se loupent, peut-être que je me trompe ? Peut-être qu'on ne se loupe pas tant que ça ?
Et puis il reparle de Victoria, et change encore  d'avis par rapport à son précédent message : Cette fois, il dit qu'il ne souhaite pas la perdre, pas la quitter. Qu'il ne peut pas, pas après l'avoir mise au pied du mur, et à attendre qu'elle lui dise quelle place il a dans sa vie. Que cette situation, il doit bien l'avouer, est une situation polyamoureuse. Et qu'il est relativement heureux, finalement.
Je ne sais qu'en penser.
Je me dis surtout que je vais lui demander d'arrêter de me parler de ça, car ses multiples changements de point de vue me font du mal, pour rien : il n'est pas fixé, ce qui est normal, il réfléchit, mais du coup c'est les montagnes russes pour moi. Alors je pourrais peut-être m'épargner ça... Même si une part de moi veut voir arriver le moment où il choisira de me quitter pour elle.
- Au final, pourquoi as-tu été attiré ? Qu'est ce qui a fait le truc ?
Il hésite
- Je crois que... Non, j'en suis sure. Tu m'as renarcissisé. Ça m'a plu. J'ai été attiré par toi parce que tu étais attiré par moi, et que ça me faisait un bien fou.
Marrant : Moi aussi, j'ai été d'abord attiré par lui parce qu'il était attiré par moi.
Sauf qu'au final, ça a commencé comment ? Par un doute, non ? Parce que le mec de copine#1 nous a mis en tête que l'un était attiré par l'autre. Il y avait peut-être un terrain favorable, il a peut-être vu que l'on pourrait s'entendre, peut-être perçu des similitudes chez nous... Mais n'empêche que tout est parti d'une supposition, d'un doute.
Et que peut-être rien n'était vrai.


Le sourire.

La semaine suivante, on passe la soirée ensemble. On se taquine, on s'embrasse, on parle, il me dévore des yeux, moi pareil. J'ai envie que la soirée ne finisse pas : j'ai envie de parler toute la nuit, j'ai envie d'aborder mille sujets avec lui.
Il parle autant qu'il m'écoute. Il me dit plusieurs fois qu'il est épaté par ma capacité à choisir de vivre les choses, envers et contre tout. A agir, quitte à me tromper. Qu'il n'a pas cette force, pas cet élan. Même s'il doit bien avouer que notre histoire, c'est un peu ça pour lui.

Plus tard, on se jettera sur le lit, assoiffés l'un de l'autre. Nous ferons l'amour passionnément, dans la lueur d'une lune incroyablement brillante. Je jouerai avec lui, je me caresserai avec son sexe. Je verrai dans son regard qu'il est particulièrement émoustillé, et dans son sourire que ça lui plait. Je maîtrise de mieux en mieux son plaisir prostatique, et je le regarderai, fascinée, se recroqueviller contre moi, haletant, lorsqu'il aura joui.
Lui au dessus de moi, on se regarde, on se sourit.
« J'ai l'impression que c'est la première fois que je te vois sourire », dit-il. « Enfin, tu souris tout le temps, mais... pas comme ça. Ça c'est ton premier vrai sourire ».
Mon cœur rate un battement. 
Je feins de m'étonner, mais en réalité je sais ce que ça signifie : je sais que j'arrive à ce moment dans une relation où l'on sourit d'une manière différente à l'autre. Où ce sourire particulier, plus franc, plus doux, plus profond, n'est destiné qu'à celui qu'on aime.
Je m'en apercevais depuis un moment déjà, mais il me confirme candidement ce que je ressentais, et que visiblement j'exprime.
S'il voit que je panique un peu, il n'en dit rien. Il a l'air heureux. Il pose sa tête sur moi, puis se redresse, me regarde à nouveau et me sourit.
« Tu es particulièrement belle dans la lueur de la lune. Cette lumière te sublime »


Le verre.

Le lendemain, nous sortons boire un verre. Notre bar à vin favori, un verre de blanc pour lui, un verre de rouge pour moi. Rapidement, la table à côté de nous devient silencieuse, et je les soupçonne de ne pas louper une miette de notre conversation.
- Notre première nuit... Pour toi c'est la nuit zéro, la première a eu lieu 10 jours plus tard. Pour moi c'est la première.
- La nuit zéro ?! Hahaha ! Oui, peut-être ! J'étais un peu trop bourrée pour réussir à être "dedans". C'était un peu dommage. J'aurais moins bu, si j'avais su. Mais j'y croyais plus vraiment, alors je m'en foutais. C'est aussi pour ça que j'étais pas épilé, pour moi il ne se passerait rien.
- Je me souviens que tu m'as dit "Je ne me suis pas épilé depuis..." tu as dit 100 ou 1000 ans ?
- 1000 ans.
- 1000 ans. Ce qui m'a paru excessif au regard de ton âge. Je t'ai dit "On s'en fout";
- Ah c'est ça que tu as dit ? Je n'avais pas compris. Et je t'ai demandé de répéter, mais tu n'as plus rien dit.
- Si si, j'ai répété.
- Ah... Je n'ai pas entendu. N'empêche, je pensais qu'il ne se passerait rien. D'autant plus que tu nous a tous calmé quand tu as dit "De toute façon je suis heureux dans mon couple, ma façon de vivre est conforme à mes attentes, je n'ai besoin de rien d'autre".
- Je le pensais. Je le pense.
- Pour moi c'était un message balancé à notre intention, nous les trois conspirateurs. J'ai trouvé ça marrant, ça nous a cloué le bec. Tu as aussi dit que le sexe n'était pas si important.
- Ça, en revanche, je peux le dire aujourd'hui : je me mentais à moi-même. Mais sur le moment, je le pensais vraiment.
- Et ensuite, tu as ajouté, et là ça nous a douché une seconde fois, que néanmoins, votre façon de vivre à Victoria et toi sous-entendait des zones d'ombres, et qu'en gros, vous pouviez faire ce que vous vouliez en semaine. Il y a eu un petit flottement, on s'est regardé, en se disant "Ah... oui....".
- Je ne pensais pas que tu te souvenais de ça ! .... Tu as une très bonne mémoire !
- Oui, c'est vrai. [Et surtout un blog où j'ai détaillé tout ça]
- Finalement notre première nuit, je n'ai pas été très bon..
- Pourquoi tu dis ça ? C'est l'impression que je t'ai renvoyé ?
Il réfléchit quelques secondes :
- ..... Non. D'ailleurs non, tu as été au contraire très rassurante. C'était touchant. En tout cas, j'ai redécouvert ce que c'était que de faire l'amour. Et la puissance de la sexualité. C'était bouleversant.
- J'avais un peu trop bu pour réussir à être dedans... Et puis je me sentais coupable de t'avoir fait tomber dans un traquenard, mais au final, tu n'étais pas si paniqué.
- Moi ça allait très bien, oui, j'avais pris ma décision. Toi en revanche, tu avais l'air de paniquer.
Je suis morte de rire, et je fais mine de grommeler pour la forme.
- Oui, je paniquais un peu.
- Pour moi ça a été une nuit qui a fait vacillé beaucoup de certitudes. Tu sais... Ma sexualité avec Victoria... On en a une, et heureusement. Pas comme toi et ton ex. Mais c'est.... très ritualisé. On commence par un massage. Puis elle se met sur le dos. Je m'occupe d'elle. Puis je la prend en levrette. Et c'est à chaque fois comme ça, depuis dix ans.
Je reste silencieuse. Je suis un peu choquée je crois : je trouve que c'est un drôle de mélange. Elle veut un massage, un cuni, et être prise par derrière. C'est bizarre non ? Pourquoi ? Est-ce que de toutes ses façons là, elle n'a pas à le regarder ? Ou ça lui permet de rester passive ? Je n'y comprends rien. Je trouve ça un peu sale. Surtout au regard de la douceur et de la générosité qu'Isaac met dans les relations à deux.Je trouve que c'est du gâchis de potentiel.
Je ne sais pas trop ce que mon visage exprime, mais il s'empresse d'ajouter :
- Cela dit, ça c'était avant. Maintenant on ne fait plus rien, ne t'en fais pas !
- Non mais je n'ai rien à dire à.... Enfin je.... Tu n'as pas à .... Je m'en f... Non c'est pas.... Oui, ok, d'accord.
Je n'ai pas à être jalouse, je n'ai pas à juger, je n'ai pas à avoir mal.
Pourtant l'évocation de leur vie intime me fait tomber une pierre dans le ventre.
Et puis cette description est si triste...
- Peut-être qu'elle est comme ton ex, qu'elle m'aime trop pour avoir envie de moi, que son amour ne passe pas par le sexe...
- Je ne suis pas sûre...
Je ne suis vraiment pas sûre.

Plus tard, il me parle du mec-de-la-salle-de-sport. Je lui ai brièvement parlé de lui le soir où je l'ai revu dans ma nouvelle salle de sport, parce que j'étais encore furieuse, et que j'ai dit quelque chose comme "Fallait que je recroise ce con ici !". De plus, le-mec-de-copine#1 lui en a parlé auparavant, et il voudrait donc que je lui raconte ce qui s'est passé et comment ça s'est passé.
Je lui raconte donc : la première fois que je l'ai vu, cette attraction animale, alors que le type n'est pas spécialement mon genre. Comment j'ai cherché pendant des mois à l'aborder, puis que j'ai eu de multiples intuitions qui m'ont permis de le contacter, de le voir, de le retrouver... De pressentir qu'il avait quelqu'un, puis d'avoir le cœur brisé. Je parle du fait qu'envers et contre tout, même s'il s'est comporté comme un connard par la suite, il faut lui reconnaître qu'il a su être rassurant lors de notre première nuit, moi qui n'avait pas eu de relations sexuelles depuis des années. Qu'il a été attentif et respectueux, et que les nuits étaient supers avec lui.
Isaac s'agite, et n'y tenant plus, me lâche :
- C'est très masculin ce que je vais dire, mais... Je sais qu'on est obsédé par la performance... Comment moi je peux rivaliser avec un tel gars ? Avec un mec qui te faisait jouir à chaque fois ?!
Je réalise un peu tard que je viens de lui faire mal, en lui racontant cette histoire. Que là je viens sans doute de lui provoquer la même douleur que je ressens lorsqu'il me parle de Victoria. Je le regarde, et répond d'une voix très douce
- Ce n'est pas ce que j'ai dit. Je n'ai pas dit qu'il me faisait jouir à chaque fois, pour la simple et bonne raison que ce n'est pas vrai. Il a d'ailleurs mis très longtemps à y arriver.
Il me regarde, interdit.
- C'est vrai, tu n'as rien dit de tel. C'est moi qui ai entendu ce que je voulais entendre. Ou ce qui m'effrayait le plus. Je suis mon pire ennemi.
- Nos nuits étaient extraordinaires pour des tas de raisons. Et peut-être aussi essentiellement pour cette attirance incompréhensible que j'avais pour lui. Je ne pourrais jamais l'expliquer, c'est un fait. Mais... Ce n'est plus vraiment important !
Il s'éloigne du sujet, évoquant cette compétitivité qu'il y a entre les hommes. Je veux nuancer :
- C'est vrai aussi pour les femmes.
- Non, je ne pense pas.
Il s'arrête, réfléchit.
- Je suis en train de me dire que je viens de dire une connerie. Oui, c'est sans doute la même chose. A des niveaux différents.
Tout le monde, homme ou femme, on passe notre temps à essayer de faire mieux que les autres. C'est aussi ce que je fais au sujet de Victoria : j'essaie de faire mieux qu'elle, de lui donner plus de plaisir. Certes, la concurrence n'est pas rude. En revanche, j'essaie de ne pas penser à tout ce qu'elle est, et que je ne serai jamais.
- Je n'ai jamais ressenti autant de plaisir avec quelqu'un. Mon plaisir a pris une autre dimension. Et puis ton corps.... J'adore ton corps. Tes seins, je les trouve sublimes. Je crois que je n'ai jamais été aussi obnubilé par les seins de quelqu'un. Jamais. Je reste toutefois méfiant , car ce sont des sensations. Je tiens à faire une différence entre sensations et sentiments. Même s'il est indéniable que j'éprouve des sentiments pour toi.
Je reste silencieuse. Je ne répond jamais à ça. Je commence à en ressentir de la gêne. Comme si on laissait des points de suspensions en l'air. Mais je continue d'être tétanisé, persuadée qu'avouer mes sentiments, c'est provoquer une rupture.
- Tu me fascines, Mademoiselle B. Je suis complètement fasciné par toi, par la façon dont tu mènes ta vie, ton rapport à l'existence. Je trouve ça prodigieux. Tu as une force incroyable...
- Je ne suis pas d'accord, je me suis effondrée tellement de fois...
- Et tu t'es relevé. Et tu as fait d'autres choses. Et tu as construit, malgré tout.
Je suis mal à l'aise. Sentiment d'imposture. Il va finir par se rendre compte que je suis une personne instable, qui se relève pour mieux tomber. La prochaine fois, d'ailleurs, peut-être que je tomberai à cause des sentiments que j'ai pour lui ? Je pense qu'il s'aperçoit de mon malaise, car il me demande très doucement :
- Est-ce que tu t'en rend compte ? Est-ce que tu es consciente de la personne que tu es ? Est-ce que tu aimes celle que tu es ?
Je biaise :
- Ça dépend... Je me suis kiffé il y a deux semaines lorsque j'ai changé mes pneus toute seule.
Il acquiesce, et n'insiste pas plus.
J'aime qu'il aime celle que je suis.
Et pourtant, une partie de moi s'y refuse. Comme si ça ne pouvait pas être vrai. Comme si je ne le méritai pas.
Et de mon côté, je n'arrive pas à lui dire à quel point je le trouve beau. Rassurant. Que ses yeux me fascinent. Que son sourire me donne envie de rire. Que son visage souriant est comme un soleil. Que rien que de penser à sa démarche, sa voix ou sa façon de se mouvoir, mon cœur se serre, et j'ai juste hâte de le voir.
Il y a quelques jours, il m'a dit :  « Tu sais, je crois que tu es bien plus brillante que tu ne le crois. Tu as réussi ton concours haut le main. Tu as compris de quoi tu es capable. Tu peux tout faire si tu veux. Tu es un peu comme Victoria. Sur certains points, vous vous ressemblez beaucoup ».
Mal à l'aise,j'ai fini par dire : 
- Je ne souhaite pas être une Victoria bis....
- Ce n'est pas ce que je dis. Vous avez des traits de caractère communs, mais vous êtes également très différentes. Vraiment très différentes...


Le sursaut :

Isaac me rejoint un dimanche soir. 
Je sais qu'il ne faut pas, mais je lui demande s'il a passé un bon weekend.
- Oui... Victoria à le chic pour me prendre à contre-pied... Je suis tombé de haut... Elle a effectué un virage à 180°. Ça c'est tout elle. Elle souhaite que l'on achète une maison entre ici et là bas, elle a pensé à tel ou tel patelin. Et puis elle a... Enfin ce n'est pas nécessaire que je te raconte tout en détail. Elle m'a vraiment surpris. Disons qu'elle a... répondu à certaines de mes attentes. Bref. Et elle souhaite que pour noël, je lui paie un shooting photo de nu, pour se réconcilier avec son corps.
Je suppose qu'ils retrouvent une vie sexuelle.
J'entrevois comment notre histoire pourra se terminer.
Elle prend les choses en main, se bat enfin pour son couple, pour lui.
Je devrais être contente pour eux, non ?
J'ai une nausée terrible.
Je n'aurais pas dû poser la question.


Le cadeau de noël

Une ou deux semaines avant noël, Isaac me dit :
- J'avais prévu un cadeau de noël, mais... Je suis embêté. Tu vas peut-être le refuser. Je ne sais pas quoi en penser... Je t'en parle ou pas ?
- Le refuser ?! Ça me parait improbable !
- Oui... Non... Bon, attends, je t'explique. Voilà, je t'avais acheté des places pour aller voir un opéra. C'est en juillet - comme tu peux le voir, je fais des paris sur le long terme !
- C'est risqué, mais, oui, pourquoi pas. Cela dit, je ne comprends pas où est le problème...
- Victoria m'a offert la même chose à noël.
- Et tu ne veux pas voir deux fois cet opéra ?
- Ce n'est pas ça... C'est que ça tombe sur la même date.
Je n'ai pas encore tout bien saisi, jusqu'à ce qu'il précise :
- Je peux t'offrir les deux places pour l'opéra, on n'ira pas ensemble, ce n'est pas grave... Mais on se verra, puisque moi j'irai avec Victoria. Est-ce que tu peux gérer ça ?
Silence.
Est-ce que je peux gérer ?
Est-ce que je n'ai pas déjà géré pire que ça ?
Où on en sera, d'ici juillet 2020 ?
Est-ce que j'ai vraiment besoin de m'infliger ça, en fait ?
- C'était une question bête, laisse tomber, je vais t'offrir autre chose, j'offrirai ces places à quelqu'un d'autre. 
- ..... Ça vaut peut-être mieux.
Est-ce que j'aurai pu gérer ?
Est-ce que finalement tout ça n'est pas le résultat des choix que j'ai fait ? 
Je suis la maîtresse, je passe après, c'est normal.
Les choses deviennent de plus en plus durs, non ?

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