lundi 27 juillet 2020

Ce qu'il s'est passé avec Isaac (3/5) : Le confinement



Juste avant le confinement, le samedi où a été annoncé la fermeture de tous les lieux "dispensables", j'étais avec Isaac. 
Nous buvions un verre dans mon bar à vin fétiche, j'avais passé une journée atroce, il était venu en retard et énervé, la conversation était tendue. Il m'avait à nouveau parlé de Victoria, et je l'avais coupé : 
Stop. Je ne veux plus entendre parler d'elle, c'est fini, le quota est atteint pour la semaine.
- C'est très violent ce que tu dis. Elle fait partie de ma vie, veux-tu le nier ? 
Est ce que je fais partie de ta vie ? Est-ce que je suis importante ?
Bien sur.
Est-ce que tu lui a déjà parlé de moi ?
Bien sur que non.
Alors qu'est ce que je dois en conclure ? Pourquoi je dois entendre parler d'elle, moi ? Ou alors je ne fais pas vraiment partie de ta vie ?

Et puis on a appris que tout fermait à minuit, et dans la foulée Victoria essayait d'appeler Isaac, puis appelait chez sa mère (où il aurait dû se trouver). Il a complètement pété les plombs, est sorti du bar complètement paniqué, et a appelé sa mère. Il était prêt à foncer chez elle à 70 km de là pour faire illusion. Il m'a dit quelque chose comme « Tu réalises que là si elle comprend, on arrête tout ?! ». Il était prêt à me quitter aussi sec, là, dehors. Pour ne pas risquer sa précieuse vie de couple, qu'il oubliait pourtant dans mes bras et entre mes jambes. 
Avec le recul, je crois pouvoir affirmer que c'est la pire scène que j'ai pu vivre avec lui. Il était au téléphone et moi je pleurais à gros sanglots dans la rue, pendant qu'il me regardait avec un air exaspéré.

Un appel de ma directrice m'a sorti de cette hébétude, pour me plonger dans une nouvelle sidération : mon travail fermait aussi, et elle me demandait de ne pas venir le lendemain. 
Soudain, de ce point de vu là aussi, je pouvais être effacée d'un claquement de doigt, femme dispensable, être sans réelle importance, que l'on peut congédier quand ça devient gênant, envers et contre tout les beaux discours. 
Et moi je disais : « Mais comment la culture peut-elle être dispensable ?! ».

Ce soir là, j'ai été incapable d'écrire sur mon calendrier des petits bonheurs du jour.

Et puis quelques jours plus tard, tout le pays était confiné.
J'étais partie chez ma mère, je suis rentrée chez moi. J'ai pleuré toute la journée, tétanisée par l'angoisse : Deux semaines de confinement ?! Comment j'allais vivre ça ? J'étais terrifiée, je me demandais à quel moment j'aurais besoin de planquer les couteaux chez moi.
Je n'osais pas imaginer que ça pourrait durer plus longtemps.
Qui pouvait deviner que ça durerait 2 mois ?!

Assez rapidement, Isaac et moi avons utilisés Zoom. Au début, ce devait être pour qu'il puisse tester l'outil pour donner ses cours. 
Du moins c'était le prétexte initial.
Par la suite, nous nous voyions quasi tous les soirs. Nous passions des heures à parler. 

Rapidement, nous avons évoqué le fait que ça pourrait être le moment de nous séparer pour de vrai. 
J'étais partagé : d'un côté, ça me semblait être le moment idéal. C'était l'occasion de couper, après tout Apocalypse pour Apocalypse, autant tout broyer. D'autant plus que, Victoria bossant à l'hôpital, à la fin de tout cela, elle deviendra l’héroïne du moment, et je ne pourrais pas le supporter - et d'ailleurs peut-être qu'Isaac non plus : ça faisait déjà 4 semaines qu'elle lui avait dit de ne plus rentrer, il se sentirait forcément coupable d'avoir passé le temps du confinement avec sa maîtresse, pendant que sa femme aura trimé. Et peut-être que je partagerai moi aussi cet avis.
D'un autre côté, commencer un confinement à la durée incertaine par une rupture, moi qui était encore fragile du burn out est-ce que c'était judicieux ?
 Isaac balaiera le problème sous ce prétexte : ce n'est pas le moment.

Le confinement devenait donc une sorte de zone hors du temps, où on laissait de côté toutes nos interrogations. Tous nos problèmes. Syndrome de la cabane ? Peut-être... Sauf qu'en laissant de côté les questions, il restait tout le reste.
Et tout le reste... Eh bien c'était juste le bonheur.

On s'est confié comme rarement on l'a fait, ces longues soirées en visio. On a abordé des tas de sujets. On a parlé de choses très intimes.
Passé une certaine heure, ça devenait même très très intime.
On a exploré nos fantasmes.
Comme jamais j'aurais pensé pouvoir le faire.
Il m'a raconté les siens. J'étais très touchée. 
J'avais tellement envie de les vivre avec lui.
Ca n'arrivera jamais.
Je lui ai raconté les miens.
Nous avons exploré certains des nôtres, en visio. Nous caressant par caméras interposées, jouissant sous nos propres doigts en regardant l'autre jouir. C'était troublant. Inédit et excitant. 
C'était possible parce que nous aimions nous regarder l'un l'autre, et que la jouissance de l'autre a toujours participé à notre propre jouissance - au point de nous faire dépasser la timidité de cette exposition crue à l'autre. C'est certainement également pour cela que, contrairement à ce qu'il affirmait (en prenant de multiples articles/témoignages/généralité comme exemple), l'orgasme synchronisé existe - d'ailleurs, nous l'expérimentions déjà depuis des semaines "en vrai".
Mais ici, plus de corps à corps - seulement nos yeux grands ouverts et nos mains fiévreuses.

Nous avons abordé des sujets très personnels également. 
Parfois trop. 
Je me souviens d'un soir où Isaac a voulu me faire parler de mon beau-père, et de la dernière fois où je l'ai vu. Je me suis sentie très mal après ça, et j'ai souhaité raccrocher très vite. C'était clairement un sujet trop sensible, et j'en ai passé une nuit assez affreuse.

Nous avions mis en place malgré nous des habitudes. Il me disait "montres-moi tes seins", et j'avais toujours un moyen pour les cacher en les montrant. Je passais mes journées à réfléchir aux pirouettes à venir, et à les préparer.
J'avais des idées pour tenir des semaines.
Je suis sûre que j'aurais pu tenir au moins jusqu'à la fin de l'année.

Il ne parlait plus du tout de Victoria. 
C'était inattendu, et surtout incroyablement reposant.
J'ai arrêté d'avoir peur qu'il dise son nom.
J'ai arrêté d'avoir peur qu'il me quitte du jour au lendemain.
J'ai arrêté de craindre ses mails, ses textos ou ses messages.
Ça allait mieux que jamais.

On a recommencé à s'appeler par nos surnoms affectueux.
Je me sentais bien.

Et puis au bout de 3 ou 4 semaines de confinement, il s'est retrouvé coincé, sans moyen de faire des lessives, car dans son appartement, il n'a pas de machine à laver - pas besoin, lorsqu'il rentre les weekend, ou qu'il va chez sa mère. Mais là .... ?!
J'ai proposé de lui prendre son linge, nous permettant de nous voir, 5 min, à 1 mètre de distance, en bas de son immeuble.
Ça me permet de respirer son odeur sur les vêtements que j'emporte.

Finalement, il décide de briser le confinement, et de venir me voir. Je commençais à vivre de plus en plus mal cette distance. Même les visio ne suffisait plus. 
Je me demandais comment faisait Victoria pour le repousser des semaines loin de chez elle, sans le voir. Pour passer, même en temps normal, toutes ses semaines à distance. Je ne comprenais pas, et me disais que je ne comprendrai jamais : ce n'est pas ma conception de l'amour.
Sa décision suffit à me remonter le moral en flèche - au point que j'en suis effrayée : il a clairement un pouvoir énorme sur moi. Sur mon bien-être. Sur mon moral.
« Oui, je me répond à moi même. Tu l'aimes. Voilà tout »
Et aimer quelqu'un, c'est avoir envie de le voir, de lui parler, de le toucher, le respirer, de faire des choses avec.

Ce weekend sera absolument parfait : des moments de tendresses, entrecoupés de passages musicaux, de films que l'on regarde l'un contre l'autre, de jeux auxquels on joue, de longues discussions, et bien sûr de jouissances à en perdre la raison.

On se reverra le weekend suivant.

Puis deux semaines après.

C'est pour moi clairement les plus beaux moments que l'on a pu passer ensemble. Il n'a pas évoqué Victoria une seule fois. Il n'y a que nous. Je suis sereine et détendue. Je me coule contre lui et je me sens infiniment bien.
Pour moi nous passons une nouvelle étape de notre intimité. Nous arrivons à un moment où tout semble simple, comme une évidence. Où je peux être tendre et câline sans craintes. Où je ne me demande pas ce que je dois dire ou faire. Où je ne suis plus continuellement sur mes gardes. Je suis certaine qu'il peut observer toute la journée le "vrai" sourire que je ne fais que lorsque je suis sereine.
Je me sens tellement bien.

Les discussions sur nos fantasmes en visio nous amène à une exploration plus en pratique lorsqu'on se retrouve, bien que très timidement : pas tant par gêne, que parce que nos retrouvailles sont toujours tellement intense, que juste être l'un contre l'autre suffit à nous mener à la jouissance.
Nous explorons d'ailleurs malgré nous d'autres expériences inédites.
Ce sont nos Interludes.

Lorsque mon frangin viendra habiter chez moi, fin avril, Isaac viendra passer deux weekend. Ce sera différent - plus question de se balader tout nu ni de se lécher sur le canapé - mais extrêmement joyeux, d'une autre façon. J'adorerai nos repas tous les trois, et les jeux que nous ferons.
Il y a une forme d'harmonie simple, qui se dégage de ces weekends - même si le courant ne passera pas très bien entre les deux - Isaac est trop rentre-dedans, et mon frère trop introverti, pour que ça se passe bien du premier coup.

Mais ça contribue clairement à mon équilibre, et à rendre mon confinement supportable - j'oserais même dire "agréable".

Je lui fais des cadeaux. Je lui prépare un colis de Pâques. J'adore le fait de penser à lui, et de lui préparer une surprise.
J'ai l'impression que cette période va changer quelque chose.
Première erreur ?

Il me dira « J'ai écrit l'acte III de notre histoire sur mon blog. Ne le lit peut-être pas. Ou pas tout de suite »
Je le sais assez peu empathique - s'il craint que je puisse être blessée, je prends l'avertissement très au sérieux.
Je laisse passer plusieurs semaines.
Je finis par lire l'article.
Je ne sais pas trop ce qu'il pensait pouvoir me blesser. Sa supposition que mes amants ne m'ont attirés que pour le physique ? Que mon blog n'est qu'une exhibition de mes malheurs ? Que je vis sans cesse dans le sacrifice ?
Rien de tout cela ne me blesse.
Non, ce qui me blesse, ce sont encore et toujours les évocations de Victoria. J'y lis le récit de leurs insuffisances, leur relation quasi platonique, j'y découvre toute l'histoire du retournement de Victoria, qu'Isaac décrit comme un mouvement tactique génial, avec tout le vocabulaire de la manipulation, qu'il semble voir, comprendre et accepter. J'y apprends également qu'en gros, il place la fin de notre relation en juin, fin de la période de réflexion imposé par Victoria. 
Je n'étais pas informé.

C'est le lendemain de ma lecture, une semaine avant la fin annoncée du confinement, qu'il m'annonce brutalement qu'il va rentrer.
- Pourquoi prendre le risque de te prendre une amende une semaine avant la fin ?!
- Avant, ce n'était pas vraiment possible. Et puis c'est ma compagne, ça fait plus de trois mois qu'on ne s'est pas vu, à un moment soit on est ensemble et on se voit, soit non.
Je ne dirais rien sur ce que j'en pense. Que c'est lui, encore, qui a dû se tenir éloigné de chez eux (chez elle ?) parce qu'Elle bosse dans la santé. Que c'est lui ensuite qui y retourne. Que c'est lui, toujours, qui semble tout faire pour eux, combler la distance. 
Cette relation qui pourtant ne sera jamais remise en cause par ma présence, la force de mes sentiments, ou les promesses que je peux faire à Isaac. Au contraire, il écrira même qu'il ne croyait pas lui même à une rupture entre elle et lui. 
Je dirai que tout allait bien tant qu'on ne parlait pas d'elle, et il me répondra très méchamment « De toute façon il vaut mieux que je te parle d'elle, sinon tu vas croire que tu es seule ! ».
Les mots coupent comme des rasoirs, et me lacèrent. 
Acide, je répondrai « C'est vrai, ce serait dommage que je m'imagine être l'Unique, il faut que je reste à ma place, n'est ce pas ?! ».
Et dire que cet homme me reproche mon manque d'estime de moi... Réalise-t-il qu'avec ce genre de remarques, il ne fait qu'entretenir ce sentiment ? Qu'il me rabaisse et m'incite à courber l'échine ? Je me demande pourquoi j'accepte cela.

Cette conversation se mêle à ce que je me suis mis en tête depuis le début :
Cette période a-t-elle vraiment changé quoi que ce soit entre nous ?
Indéniablement non.
La fin de cette période marquera-t-elle sa culpabilité face à Victoria ?
Je crois en voir les signes.
J'en viens même à me dire que j'ai seulement servi à passer le temps, à le distraire pendant que le monde devenait fou. Que ses sentiments ne sont que loisirs de bourgeois.

Est-ce vraiment si éloigné de la réalité ?
La fin du confinement marquera-t-elle la fin de notre relation ?
J'en suis persuadée.
Deuxième erreur ?


Prudemment, je prépare ce que je lui "dois" : les toiles que je lui ai promis. Le titre de son morceau.

Le séjour de rêve, mon cadeau de noël que le covid a annulé, me pose un autre problème : que faire de ce truc ? Il me torture littéralement. Je le regarde, et je sais qu'on ne le fera jamais. J'aimerais avoir tort, pourtant. Mais... ça semblait déjà trop décalé dès le début, non ? Les weekend luxueux, les cadeaux,... Ca n'a jamais été pour moi, non ? 
Je décide de lui redonner. Je lui rend, et je lui demande de s'occuper de cela. En réalité, j'ai surtout besoin de ne plus avoir cette responsabilité, et de ne plus avoir ce papier sous les yeux. Arrêter d'espérer, arrêter de me dire qu'on ne le fera jamais, et ne pas chercher un "plan B" si on ne le fait pas ensemble - car si je ne le fais pas avec lui, je ne le ferai avec personne. Et je ne veux pas non plus de la responsabilité de mettre à la poubelle un cadeau de plusieurs centaines d'euros.

Lorsqu'il l'emporte, je me sens soulagée d'un poids immense.
Et j'essaie de ne pas penser qu'il le fera avec elle, lorsque tout sera fini - et pourtant, ça sera sans doute le cas.

Je me prépare sans doute à le quitter, malgré moi. A me... sacrifier, finalement, comme il le pointait dans son article. Victime expiatoire, disait-il ? Oui, ça ressemble à ça. 
Mais finalement, à quel point attend-il ce sacrifice, et l'encourage-t-il inconsciemment ?

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