mardi 15 mai 2018

Jeter son enfance à la décheterie

Samedi 24 mars.


Il était prévu que j'aille à Paris : je devais aller chercher ma nouvelle voiture, vous savez, celle que j'achetais pour voir Charles Henri plus souvent - et il me quittait le lendemain de la commande.

C'est pile ce jour là qu'il a été décidé de vider l'appartement de mon père adoptif, décédé depuis presque 1 an aujourd'hui. Je n'ai jamais été capable d'écrire ses obsèques, mais j'en garde le souvenir insupportablement douloureux d'une cérémonie où nous étions seulement 7, et où je me suis effondrée en réalisant que je perdais une partie de mon enfance. J'avais revu mes demi-frères et sœurs de cœur, nous avions l'impression de devenir soudés... Et 1 an après, plus personne ne se parle de nouveau.
Nous avons donc été dans l'appartement, ma demi-sœur et son mari, son demi frère, un ami... Bref, nous étions 5 ou 6, armés de sacs poubelles de 100L, avec pour objectif de vider intégralement l'appartement.
Et de tout balancer à la déchèterie.
Comment expliquer ce que j'ai ressenti... ? J'ai pris a pleine main des souvenirs de ma vie d'enfant, et j'ai tout mis dans des sacs poubelles.
Mes dessins.
Mes cartes de fête des pères (même s'il m'a toujours interdit de l'appeler "papa")
Des photos - de lui, de mon frère, de nous. 
Des objets que j'ai utilisé 
Une tasse, offerte par ma marraine
Une boite de pastilles Valda, lui qui adorait ça 
Je suis entré dans la cuisine, et j'ai bloqué sur une assiette, dont le bord vert pastel et violet m'a fait violemment ressurgir des souvenirs de dîners en familles. J'ai pris cette assiette dans mes mains, bouleversée.
Et j'ai eu envie de la fracasser au sol de toutes mes forces.
En démontant le lit, j'ai retrouvé un pendentif : un fer a cheval en or. Là encore, les souvenirs m'emportent : Il ne quittait pas sa fine chaîne en or et ce pendentif. 
Tous ses objets de valeur ont été volés, il ne reste plus rien dans cet appart. Les appareils électriques qui n'ont pas été emportés se sont vu couper les fils d'alimentation par malveillance. Ce pendentif est miraculeusement resté là parce qu'il était tombé entre le sommier et le matelas.
Je prenais à pleine main ma vie d'autrefois, tous ces trésors, et je m'en débarrassais. Pendant que les autres râlaient que c'était une montagne de merde, ou se moquaient du bordel, comme si mon beau-père était un imbécile.
Ce n'était pas un imbécile. Il était juste brisé, et s'était réfugié dans l'alcool. Et tout le monde lui a tourné le dos - ou s'est fait chasser par lui.

J'ai pris le train a 16h, bouleversée.
J'ai trouvé un message de Sharon, déplorant mon absence à leurs tables lors de la soirée de l'asso « Pourquoi t'es tu exilée ?! ».
Ça semblait évident pour tout le monde, mais pas pour elle, alors j'ai dû lui expliquer que c'était trop dur pour moi. Et aussi que, contrairement à elle, tout le monde me considérait comme une bombe prête à exploser, et qu'ils étaient tous mal à l'aise en ma présence.
« Objectivement, le seul qui était mal a l'aise, et à juste titre, c'est Charles-Henri ».
Je ne peux pas, Sharon. 
Je ne peux pas entendre ça aujourd'hui.
"A juste titre", Charles-Henri a créé cette merde, et dans aucun putain de monde tu ne peux parler de lui comme s'il était la victime de l'histoire. 
Le cœur lourd, j'ai rejoint Paris. Il faisait beau. 
Et j'avais l'impression que mon intérieur était en ruine.
Comme d'habitude, il me semblait qu'il me fallait encaisser les épreuves à la suite - "la loi des séries", comme disent mes grands-parents.

Lorsque j'ai débarrassé la chambre, je suis étonnamment tombée sur une lame de tarot. 
Il n'était absolument pas adepte du tarot (son truc, c'était plutôt les marabouts et les gris-gris : On en a retrouvé près d'une cinquantaine). Je n'ai pas vu de tarot nulle part. Juste cette lame, à l'envers sur le parquet de la chambre.
Je suis peut-être naïve, mais c'est le genre de choses que j'interprète comme un signe, ou au moins un message.
Et quoi de plus bavard que le tarot de Marseille ?!
Il s'agissait du mat.
J'ai toujours eu envie de savoir tirer les tarots, mais je n'ai jamais pris le temps d'apprendre. J'ai donc été voir sur internet ce que ça signifiait.
Bouleversée, j'ai lu qu'il s'agissait de la carte des changements, des déplacements, des transformations, des nouveaux projets. Le Mat "incite à croire en soi et en son potentiel". L'autre sens du Mat, son sens plus "négatif", signifiera la peur de bouger, ou de saisir les opportunités. 
La synthèse : Cette lame signifie des transformations en cours, des choses incertaines, des incertitudes sentimentales et matérielles, de l’insouciance, manque de fiabilité et de sérieux. En dehors, c’est sans doute la carte des déplacements et des voyages par excellence.
Le message du Mat : Partez à l’aventure, il en sortira toujours quelque chose de positif
Source : http://www.le-chariot.com/mat/
Evidemment, on peut interpréter le Tarot comme bon nous semble, et ceci depuis la nuit des temps. Est-ce un hasard si j'ai trouvé ça dans la chambre de mon père adoptif mort l'année dernière ? Si cette perte marque forcément un changement ? Si je pars dans deux semaines en voyage aux Etats-Unis ? Si ma vie est très (trop ?) intense pour moi en ce moment, et me fait parfois me sentir fragile et terrorisée ?
J'ai pris cette carte comme un message, qui me disait que tout irait bien, qui m'incitait à garder confiance.

Et là, en écrivant sur mon téléphone dans le train, parce que j'avais ce besoin irrépressible d'écrire, l'absence de cette lame, que j'ai oublié dans mon pantalon "de travail" me fait me sentir plus nue que jamais. J'aurais voulu la garder avec moi.

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