jeudi 31 octobre 2019

La fin d'une période : notre bar fétiche ferme


Je ne sais pas ce qu'il y a cette année, mais après la fermeture de ma salle de sport, maintenant c'est au tour de notre bar gay préféré de mettre la clef sous la porte.

J'y ai fait des soirées mémorables, dont certains articles ici gardent la trace, j'y ai galoché mes amis (et aussi des inconnu.e.s), j'ai léché des nuques et des torses, j'ai fini en soutif, j'ai été malade, j'y ai ris, j'y ai pleuré, je m'y suis senti libre et heureuse, le temps d'une soirée... J'y ai des souvenirs indélébiles, et mes meilleurs soirées ont eu lieu là bas.


La toute première fois où j'ai été dans ce bar, je devais avoir 25 ou 26 ans. Mon ex passait la soirée avec des potes alors que c'était notre anniversaire de rencontre, j'étais furieuse et blessée, et donc je suis allée là bas par hasard, j'ai demandé le cocktail le plus fort de la carte, et j'ai fini torchée.
J'ai dansé, c'était de la musique des années 1990-2000, je me souviens d'avoir chanté "Who's that girl ?", mais aussi "Wannabe", et même "Partir un jour", et c'était finalement une bonne soirée.
Evidemment, mon ex m'en a voulu. Il était furieux, est venu me chercher en taxi, m'a fait la gueule, et m'a dit que j'étais folle de sortir seule et de boire. « Et s'il t'était arrivé un truc ?! ».
Mais finalement en 4 ans de relation, il m'a souvent dit que j'étais folle, alors bon...
Et peut-être que c'est vrai.

Bref : ça a été mon premier contact avec ce bar.

J'y suis retourné par la suite avec mes amis gays. Parfois en duo, avec Mathieu, quand nous étions encore très proches, et très amis. Nous dansions jusqu'à la fermeture, et nous passions d'excellents moments, avant de rentrer à pieds en refaisant le monde, de nous effondrer sur le lit, et de nous prendre dans les bras au réveil, dans cette amitié très affectueuse que nous avions.

Il y a eu cette soirée presque onirique, entre rire et larmes, où des couples se défaisaient et le moral n'était pas au beau fixe, mais pourtant nous avons passé une soirée douce, comme dans un autre monde.

Le groupe a changé, a évolué, nous étions rarement au complet, mais qu'importe.

Il y a eu beaucoup d'anniversaires (celui de mes 29 ans a été grandiose - en revanche mes trente ans ont été un désastre), d’événements (ou pas), de confidences.

A l'époque, le bar faisait carton plein tous les soirs. Les DJ n'ont jamais été bons, mais il y avait des soirées années 90 absolument dantesques - et qu'importe, l'ambiance était extraordinaire.
Nous avions arrêté d'y aller le samedi parce qu'il y avait tellement de monde qu'il était impossible de danser.

Et puis il y a eu de moins en moins de monde.

Les cocktails, au nom très évocateurs (le plug, la poutre de Bamako, la faciale, ...)  sont devenus outrageusement chers.
D'ailleurs les cocktails étaient de moins en moins bons.
Ces deux dernières années, nous étions bien souvent les seuls clients de la soirée. Ça ne nous empêchait pas de danser et de nous amuser - mais on se demandait où était passé les grandes heures de notre endroit préféré.

J'ai toujours pensé que je fêterai là bas tous mes grands événements - l'obtention du concours, je l'aurais fêté là bas.
Eh bien plus maintenant.

Cette année, nous devions y aller le 24 mai, pour mon anniversaire [oui, je suis en retard]. La date posée, la soirée prévue, nous étions impatients de nous revoir et de faire la fête.

Et puis un message : « Regardez Facebook ! Le bar ferme ! »
On se presse tous sur la page du bar : en effet, la fermeture est annoncée. Le bar fermera définitivement le 1er juin, après une dernière soirée qui suivra la gay pride.

On se dit qu'au moins, on fêtera une dernière fois quelque chose là bas.

Sauf que ce qu'on n'avait pas compris, c'est que le bar était déjà fermé, et qu'il rouvrirait pour une dernière soirée pour la gay pride.
Nous avons donc trouvé porte close le 24 mai, et nous nous sommes échoués dans un café, devant un Cosmo. Où clairement, le public n'était pas très gay friendly. Les petits cris aiguës de Stéphane nous attirent des regards noirs, nos conversations sur la pipe et la prostate font tousser pas mal de monde, et nos multiples références au sexe ne plaisent pas trop. Au bout d'1h, toutes les tables autour de nous sont libres - et les serveurs nous ignorent quand on essaie de les appeler pour une deuxième tournée.

Je ne voulais pas revenir le samedi, ça me faisait faire beaucoup de route, et puis c'était la période où il y avait Julien dans ma vie, et clairement, il me jugeait à ce sujet : « Tu vas boire ? Il y aura des mecs ? ». « Pour l'amour du ciel Julien, c'est un bar gay ! Il n'y a quasi que des mecs, mais ils sont tous gays ! » (Je n'ai jamais osé lui dire qu'en règle général, on se roulait tous des pelles après minuit (ou avant)).
Finalement le samedi après-midi au boulot, je me suis dit « Si tu ne vas pas à la dernière, tu vas le regretter ».
Et donc sur un coup de tête, je suis sortie du travail à 19h, j'ai envoyé un message "Fuck off les gars, j'arrive, je loupe pas la dernière !" et j'ai foncé 70 km plus loin.

Stéphane a été le premier à arriver. Costume impeccable, élégant, classe. Je le complimente en arrivant. Il rit : « J'ai hésité entre le costard et le harnais en cuir ».

Le bar est archi bondé, et je le regarde de l'extérieur, avec nostalgie : Il y a du monde "comme avant", c'est bon de le revoir comme ça.
Il y a des parapluies arc-en-ciel sur la façade, des drapeaux. Des garçons avec de longs cils bleus, des mecs plus ou moins habillés. Un type passe - « Oh, c'est Jonathan, du ballet ! Comment tu vas ?! », il a saupoudré sa barbe de paillettes, et couvre nos joues de poussières argentées en nous faisant la bise. Il jette à Stéphane « Si tu veux éviter les paillettes, embrasse moi sur la bouche ! ».

David nous rejoint. « Oh, il y a du monde ! Ça fait plaisir de voir à nouveau le bar comme ça ! ». On observe, avec nos émotions partagées. Et puis : « Cela dit, pour une gay pride, c'est léger... Je me souviens d'une année où il y avait tellement de monde, que les tables continuaient jusqu'au bout, là bas, à 100 mètres. Toute la rue était blindée, festive. Là il y a quoi, 100, 120 personnes ?! »
On acquiesce tristement.
« C'est vraiment fini alors, hein ? »
On se donne la main, et on est triste, et en même temps heureux de venir dire au revoir une dernière fois.

« Bon, cela dit on va pas chialer tout de suite, on picole avant ?! Allez, champagne pour tout le monde !! »

On s'insère tant bien que mal dans le bar, on va commander nos verres, et on trouve une petite table dans un coin - sur laquelle on est rapidement debout, à danser furieusement.
J'ai de très belles photos de cette soirée, où Stéphane, torse nu, passe sa main dans mes cheveux pour dégager mon visage pendant qu'on pose à côté de l'ampoule "design industriel" qui pend du plafond. Bientôt rejoint par David, le maître du selfie, qui nous canarde en mode trio.
Loïc nous rejoint, son mec est avec lui - mais ça y est, ils sont officiellement séparés. On se serre dans nos bras « Tu es venu, c'est super ! » « Bah oui, pour la dernière, il fallait bien ! » « Putain j'suis super ému ! » « Hé, prenez une coupe de champagne ! » « Dis donc super canon ta tenue ! » « C'est quoi le bar gay le plus proche maintenant ? » « Il y en a un a une centaine de kilomètres... » « Non, attends, tu n'es pas au courant ? Le patron du bar est mort il y a quelque jour ! Du coup ça ferme ! » « Il est mort ?! Tu déconnes ?! » « Ouais, overdose... Enfin... Non, il a pris trop de trucs, et il s'est étouffé dans son vomi ». Silence. « Oh merde. C'est moche » « J'voudrais pas mourir comme ça... » « Super soirée les gars, bravo, on était déjà pas assez déprimés ! ».

La fin de soirée arrive trop vite. On espérait un discours, peut-être un truc un peu cérémonieux, pour marquer le coup.
On ne s'attendait pas à ce que la musique soit coupé, et que le co-propriétaire gueule « Voilà, c'est fini, allez, tout le monde dehors ! ».
Ça a jeté un froid, tout de même.

J'ai été le saluer une dernière fois, pleine d'amour, de nostalgie et de bulles de champagne : « J'ai passé mes meilleurs soirées ici ! Merci pour tout ! ». Il fait une petite moue « Pour moi il était temps que ça ferme ».
Bon, on n'est pas trop sur la même longueur d'onde....

Les gens récupèrent les parapluies arc-en-ciel, et embarquent des souvenirs. Je n'ose pas embarquer un des trois petit cadre noir et doré - je ne sais plus les textes exactes dessus, je me souviens que l'un c'est Live, l'autre c'est Love, le dernier Laugh. Je regrette terriblement, j'aurais dû en prendre un - ou les 3.


Nous restons un peu devant le bar, nous prolongeons le moment.

Le mec de David arrive, il est complètement bourré. « La soirée officielle est sur une péniche !! Je veux aller sur une péniche ! »
« Non, t'es chiant, j'suis crevé ! »
« Mais je veux voir la péniche ! »
J'essaie d'aider : « T'en fais pas, si tu veux, vous allez rentrer, et il te montrera son pénish, tu verras, ça sera encore mieux, tu pourras même monter dessus et jouer avec ! »
« Pénish ? »
(Il n'a jamais compris la blague)

On se serre une dernière fois dans nos bras. « Merde, on va aller où maintenant ?! Où est-ce qu'on pourra danser, se désaper, sniffer du poppers, se rouler des gadins, faire nos Britney ?! »
On est tous un peu ému. Un dernier selfie pour la route, on se serre les uns contre les autres, ya la tête de Loïc qui se hisse tant bien que mal en haut de la photo, et puis on en prend une deuxième, et puis une troisième

On regarde une dernière fois la porte close. Tous les parapluies arc-en-ciel ont été pris.

La fin d'une sacrée période.

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