Le vieil homme au sol

Cette histoire se passe au présent.

Copine#1 et moi revenons de quelques jours de vacances, profitant du pont du 14 juillet.

Je suis au volant de ma voiture. Nous sommes sur le chemin du retour, traversant la ville que nous venons de visiter. Le séjour touche à sa fin.

Je vois soudain un vieil homme couché sur le trottoir, qui tente de se relever. 

Les voitures passent, personne ne s'arrête.

Je me gare, et vais à sa rencontre.

- Est ce que vous allez bien ? Vous avez besoin d'aide ?

- Je suis tombé

- Oui... Je vois. Est-ce que je vous aide à vous relever, ou est-ce que j'appelle plutôt des secours ?

Il s'affole :

- Non, non, pas les secours !

- D'accord, alors est ce que je peux appeler quelqu'un que vous connaissez ?

- Non, n'appelez personne !

- D'accord, d'accord. Mais est-ce que vous pensez que vous pouvez vous relever ?

- J'ai récemment été opéré du cœur

- Oh ! Et... heu.... là il va comment, votre cœur ?! Il bat trop vite, ou pas assez, ou...

"Ou est-il prêt à s'arrêter ?", je me demande dans ma tête. Je lui fais un sourire encourageant, mais intérieurement, c'es la panique absolue. Inutile de dire que je serais parfaitement incapable de faire un massage cardiaque - mes cours de secourisme datent du lycée, et, par ailleurs, il y a une sorte de grand brouillard blanc qui se forme dans ma tête quand j'effectue la requête mentale "Technique du massage cardiaque".

- Oh non, mon coeur, ça va, dit-il après une petite seconde de réflexion.

- Ah !

Soulagement intense. Je balaie de ma tête le brouillard blanc associé aux premiers gestes de secours.

Cela dit, on est en plein soleil, son regard n'est pas hyper fixe, et je le sens qui s'affale de plus en plus en arrière, tandis que j'essaie de le maintenir assis.

- Je dois quand même vous dire...

- Oui ?

Chuchote :

- J'ai quand même bu quelques canons

- Ah ! Bon !

- Oui

- Bon, mais faudrait quand même que vous vous releviez. On essaie de faire ça ?

Copine#1, qui ne me voyait pas revenir, nous rejoint à ce moment là, et je me dis qu'à nous deux, on devrait pouvoir y arriver. 

Quoique l'homme s'affale de plus en plus sur le trottoir.

Là dessus, une autre voiture s'arrête. 

Un couple en descend, et ils s'enquièrent du problème. Ils habitent le quartier, nous disent que l'homme habite à deux pas, et qu'ils sont voisins.

- Ah, vous le connaissez ?!

Regard gêné de l'homme

- Oh heu... seulement de loin. On ne lui a jamais parlé. Il vit seul. Il est tout seul.

Avec le recul, je me dirai « Mais justement, si cet homme est tout seul, n'est ce pas une raison pour lui parler ?! ». Mais sur le moment, emportée par les événements, je ne relève pas.

Ils nous aident à relever le vieil homme, et je m'aperçois qu'il s'est ouvert le coude dans sa chute, et qu'il saigne assez méchamment. Le bras de chemise est tout imbibé.

- Il va falloir vous soigner !

Son regard se braque sur moi, et il me sourit. Ses yeux sont voilés par la cataracte, humides et expressifs

- Merci. Merci pour votre gentillesse

- Oh bah heu non c'est normal

- Avec ça, vous vous souviendrez de moi hein !

Il a un petit rire triste, et je lui fais un sourire encourageant.

- Reposez vous, et soignez vous surtout !

Il me regarde à nouveau, les yeux plus humides, cette fois sans sourire, cette fois suppliant

- Vous vous souviendrez de moi, hein ?

Je me demande si un jour, nous serons tous une vieille personne seule, suppliant une inconnue de se souvenir d'elle.
Ça me terrifie.