vendredi 31 juillet 2020

Le cas Buffy


Buffy contre les vampires, série que j'ai déjà évoquée ponctuellement ici, a indéniablement marqué mon adolescence - et probablement participé à la construction d'un grand pan de ma personnalité.
Il y a deux ans, lorsque je sombrais après l'histoire Miguel, j'ai regardé à nouveau les 7 saisons. J'y ai trouvé un vrai réconfort, à la fois pour l'aspect "doudou" d'une série qui avait marqué ma vie, à la fois par la profondeur et la modernité que je (re)découvrais, et à la fois par des questionnements qui me touchaient à nouveau, quoique différemment. 
Je m'aperçois aujourd'hui seulement à quel point cette série me parlait de moi, de celle que j'étais à l'époque, de celle que je suis aujourd'hui.


Lorsque j'étais ado, le monde devait s'arrêter de tourner pour la Trilogie du samedi. 
Un soir, mon oncle, qui jugeait que, dans l'ensemble, mes parents étaient bien trop conciliants et me laissaient regarder des conneries, a voulu m'embêter avec ça : il est venu se mettre devant la télévision. « Hé hé, alors, tu fais comment si je fais ça ?! »
J'étais complètement affolée, nous en étions au dernier épisode de la saison 5 (les connaisseurs comprendront), je ne voulais pas louper une miette de l'épisode, qui s'avérait par ailleurs épique.
Je l'ai poussé.
Erreur fatale.
Au rire moqueur s'est immédiatement imposé la fureur la plus sauvage. Il m'a frappé si fort que j'ai été projeté sur mon lit, quelques mètres plus loin, et que je me suis violemment cognée contre le mur. J'avais en main de tout petits ciseaux à ongles très pointus, qui se sont emberlificotés dans la chaîne que je portais au cou - si elle n'avait pas été là, avec le choc, je crois que j'aurais pu vraiment me blesser méchamment.
J'ai lâché un : « Mais tu es fou ?! J'aurai pu me planter les ciseaux dans la gorge ! ».
Il s'en foutait. Il hurlait que je devais rester à ma place, que je n'avais pas à lever la main sur lui, que je n'étais qu'une sale petite conne. Il a éteint la télé, m'a ordonné de me coucher et de faire profil bas. 
Folle de rage, au point d'oublier la terreur que je ressentais habituellement à son contact, j'ai refusé ; j'ai dit non, je continuerai à regarder, c'est Buffy, et tu n'as rien à m'ordonner, c'est ma chambre, c'est ma maison.
Et j'ai regardé la fin de mon épisode.
A-t-il réalisé qu'il avait été trop loin ? Qu'il avait par ailleurs franchi une ligne très grave en me frappant ? Qu'il aurait pu réellement me blesser ? Ou pressentait-il que je lui aurais tenu tête envers et contre tout, et que ce soir là, uniquement ce soir là, il n'aurait pas pu me soumettre ?
En tout cas, il est parti et n'a pas insisté.
Ça a été la seule fois où j'ai relevé la tête.
C'était grâce à Buffy.

Outre ce souvenir pénible, j'ai trouvé, en regardant à nouveau la série, de multiples questionnements personnels ou universels, qui me parlaient encore aujourd'hui - au point de l'évoquer à ma psy : L'absence du père, le ou les pères de substitution, la difficulté à s'intégrer, les amours déçus, la dépendance, la perte, l'amitié,... Mais aussi l'évolution, la maturité.

J'ai aussi retrouvé intact mon enthousiasme pour des épisodes absolument brillants, et toujours cohérents, avec quelques pépites souvent citées : "Hush" l'épisode sans dialogues, "The body" l'épisode sans musique, à l'inverse "Once more, with feeling" le génial épisode musical considéré par certains comme le meilleur, etc etc. 
Il y a un véritable génie créatif dans cette série. J'apprécie particulièrement l'évolution des personnages, parfois très audacieuse, et qui manque cruellement dans la majorité des séries actuelles. Il y a également une continuité de l'histoire exemplaire, car des événements prennent parfois tout leurs sens plusieurs saisons plus tard.

Et je ne parle des coupes de cheveux de Sarah Michelle Gellar : à chaque nouvelle saison, je débaroulais chez le coiffeur en disant « Je veux ça ! » (mais elle et moi n'avons pas le même type de cheveux, et ça ne marchait jamais)

Pendant le confinement, j'ai suivi différents Mooc, et notamment Fantasy, de l'Angleterre victorienne au Trône de fer qui, comme son nom l'indique, parle de Fantasy.
J'y ai découvert avec étonnement un cours quasi intégralement consacré à Buffy, considérée comme "La série mère", "la série monde".
Par la suite, j'ai également suivi un colloque universitaire, où, en introduction, la modératrice disait que Game of Throne était, comme Buffy à son époque, un tournant dans l'univers des séries, et qu'il y aurait un "avant" et un "après" GoT, tout comme il y avait eu un "avant" et un "après" Buffy.

Émerveillée, je réalisais que, si c'était pour moi cultissime et faisant partie de mon histoire, c'était également le support de nombreuses études universitaires, de multiples recherches et thèses. J'en ai dévoré quelques unes avec passion, découvrant que ce que je trouvais déjà très profond pouvait aller encore plus loin que ce que j'avais présupposé.

L'une des intervenantes du Mooc, Isabelle-Rachel Casta, au look absolument délirant (parfois je perdais le fil de son cours, en me demandant si elle sortait comme ça, et comment elle parvenait à se faire respecter dans les milieux universitaires - mais franchement, j'adore, je veux la rencontrer et lui dire que je l'aime), avait quelques études à son actif sur Buffy et la Bit-litt. Et si j'ai retenu quelques phrases chocs, l'une d'elle, surtout, a retenu mon attention, mettant le doigt sur l'un des éléments clefs de ma fascination pour cette série : 
Buffy est trop surnaturelle pour les humains, et trop mortelle pour les vampires
A. k. a son éternel dilemme à ne pas savoir à quel monde elle appartient, et où est sa place - d'ailleurs en a-t-elle une ?
Et soudain, j'ai compris : pourquoi j'ai toujours été fasciné par ce personnage, pourquoi depuis si longtemps, Buffy a été comme une grande sœur pour moi, une sorte de modèle, d'idole.
Je ne me suis jamais sentie à ma place. J'ai toujours été en décalage, il y avait toujours un truc qui faisait que je n'étais pas comme les autres, encore aujourd'hui : pas de père, un beau-père noir (et 30 ans plus âgé que ma mère) alors que j'étais blanche, une sensibilité trop forte, une sexualité trop ouverte, une bisexualité assumée, des émotions trop présentes, une trop forte tendance à la mélancolie - voire à la dépression, une personnalité non définie entre timidité maladive et exubérance inassumé, un père biologique homosexuel, un frère de 18 ans de moins que moi… Et une folle envie d'appartenir au monde "normal", où, en réalité, je fais tache.
C'est Hector, attiré par ma singularité, mais qui finalement me demande d'être plus "normale".
C'est Mister Perfect, qui me dit « Tu n'es pas normale, et c'est ce qui fait ta richesse »
C'est MB, qui me dit « Je n'ai pas envie de te connaitre plus »
C'est Isaac, qui me dit que je suis paradoxale et que je désire des choses qui s'opposent.
C'est des remarques condescendantes, ou des gens qui m'évitent clairement.
Pourtant, si j'existe, avec toutes mes ambivalences, c'est que je ne suis pas impossible. C'est que d'autres personnes comme moi existent… Non ?!

J'écoute également une émission consacrée à la série sur France Inter, et si le débat ne va pas beaucoup plus loin que l'essentiel (comme souvent sur France Inter), il y a quelques autres pistes qui, à nouveau, me font réaliser à quel point cette série est tombée à point nommé dans ma trajectoire personnelle : 
- Le lycée, métaphore de l'enfer, et l'adolescence comme une épreuve permanente et de nombreux démons à tuer.
J'en ai déjà parlé, ma scolarité n'a pas été de tout repos, et était parfois cauchemardesque de bien des façons.
- Ces fameux démons et vampires, métaphore de ce qui nous angoisse.
Combien de fois ai-je voulu tuer mon oncle ?
La douleur d'être en vie
Combien de fois ai-je voulu mourir, et à quel point Buffy exprime-t-elle avec sensibilité cette impression de vivre l'enfer sur terre ?
J'y ai découvert le premier baiser lesbien à l'écran, me sentant agréablement représentée, me disant "On peut aimer les hommes et les femmes !". J'aurais aimé, à l'époque, que le personnage de Willow reste bisexuelle (je n'ai jamais compris pourquoi il fallait choisir entre homme et femme), mais j'approuve entièrement l'audace de Joss Whedon, créateur de la série, qui osait mettre un personnage homosexuel parmi les personnages principaux. C'était loin d'être commun, à ce moment là.

L'un des intervenants de l'émission pose également la question de savoir s'il y a identification aux personnages, ou si c'est de l'attachement (l'un n'empêchant pas l'autre)
Cette question anodine m’intéresse, et me fait cogiter. 

J'identifie aujourd'hui mieux ce qui m'a fasciné dans Buffy contre les Vampires. Cette série a compté, et comptera toujours. 

Et je me dis qu'en cas d'Apocalypse, je pourrais toujours regarder Buffy pour aller mieux.


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