jeudi 2 juillet 2020

Weekend dans un Centre Bouddhiste


Par l'intermédiaire de mon groupe de méditation, j'ai découvert qu'il y avait un "Centre de retraite spirituelle" à 80 km de chez moi.

Je venais de vivre l'Apocalypse un mois plus tôt, j'avais l'impression d'être prête à tomber en morceau au moindre coup de vent, Isaac m'avait quitté (mais finalement pas tout à fait), lui et Victoria devaient passer le weekend dans ma ville et bruncher dans mon café préféré, et dans l'ensemble, mes émotions étaient incontrôlables... 
C'est dans ce contexte que j'ai vu, en allant sur la page de ce Centre, qu'il y avait un weekend sur le thème des émotions, et comment les comprendre.
Ça tombait très bien.

En regardant mon agenda, j'ai constaté que c'était pile sur un weekend où je ne travaillais pas - mieux : je ne travaillais pas non plus le samedi. Ça tombait très bien.
En regardant mon compte en banque... Par contre ça tombait un peu moins bien. 
Mais à un moment, mon équilibre, s'il passe par une santé financière correcte, doit aussi passer par ma santé mentale. J'ai donc réservé le weekend, et pour moins de 200€, j'allais passer deux jours dans ce Centre, chambre individuelle, repas végétarien et enseignement bouddhiste compris. 

J'étais très impatiente, et je misais beaucoup sur ce weekend.

Je suis donc partie comme on s'enfuit, comme on court vers un canot de sauvetage en espérant qu'il nous empêchera de nous noyer. 
1h20 de route, et je suis arrivée au centre le vendredi, à la tombée de la nuit. Bien sûr, comme on pouvait s'y attendre, il était paumé en pleine nature, et j'ai essayé de trouver le parking au petit bonheur la chance. Je me suis engagé sur un chemin forestier boueux, ma voiture a glissé plus qu'elle n'a roulé jusqu'au pied d'un grand bâtiment, j'ai loupé d'un cheveu un grand arbre qui se jetait spontanément sur ma voiture, j'ai esquivé le fossé qui tentait de m'agripper au passage, et j'ai décidé de laisser ma voiture exactement où elle avait bien voulu s'arrêter, quelque part au milieu des arbres et enfoncée dans la terre mouillée, en me disant « Qu'on soit clair : je ne ressortirai plus jamais d'ici ».

J'ai manqué me casser la gueule dans la boue en sortant, et j'ai eu la trouille de ma vie quand un type chauve est apparu de nulle part pour me dire, avec un accent canadien « Vous êtes bien garé ? Sinon je peux bouger ma camionnette et vous vous mettez sur le parking au dessus ! ». 
Je ne me voyais pas ressortir ma mini-voiture de sa grande flaque de boue, ni reprendre le chemin glissant, estimant que c'était déjà miraculeux qu'elle soit entière et (plus ou moins) garée. J'ai répondu « Non mais en vrai elle ne sortira plus jamais de là où elle est, c'est fini ». 
Et j'ai filé vers le centre, un peu inquiète tout de même de ce canadien-chauve-des-bois, qui avait l'air certes plutôt gentil, et qui rigolait de ma dernière phrase comme si c'était une blague, mais n'empêche qu'il était chauve, et qu'il se planquait dans l'ombre en parlant avec un accent québécois.

***

A l'intérieur, la temporalité change du tout au tout.
C'est calme et serein.
Une fille d'apparence très jeune me guide, et m’emmène à ma chambre, vaste et clair. 

Puis me montre la salle de médiation - clairement, je n'ai pas la même à la MJC de ma ville.


Elle me montre ensuite la salle où on prend les repas, et le "salon de l'amitié" où des gens sont déjà arrivés.
Il y a une forte odeur d'encens autour de la salle de méditation, la déco est très bouddhiste (comme la formation était laïque, je n'avais pas compris qu'il s'agissait d'un centre religieux) et dans l'ensemble le lieu est calme et apaisant.


Il y a aussi des affiches marrantes aux toilettes (ça me rappelle les affiches de l'auberge de jeunesse à la Nouvel Orléans) :


Je pose mes affaires, et retourne au salon. Je m'installe au milieu des autres - on se présente, on se sourit, puis je prend un livre parmi ceux qui sont mis à disposition, et me plonge dans "Interdépendance, psychologie et philosophie dans la voie bouddhiste", qui est à peu près aussi costaud que son titre le laisse supposer. 

Vers 20h arrive le moine qui doit nous former les deux prochains jours. Il nous invite à nous rendre dans la salle de méditation, et nous explique le programme. Tout le monde se présente, il nous donne les consignes, puis on termine sur une méditation, qu'il introduit par un chant absolument ahurissant, qui semble venir directement de son ventre tant c'est grave et profond.

Je retourne ensuite dans ma chambre, et.... je bad complètement. 
Je ne saurais même pas expliquer pourquoi : je suis au début d'un weekend que j'attendais, dans un lieu spécial, et soudain je ne me sens pas à ma place, j'ai une sorte de violent mal du pays (ou mal de ma maison, va savoir), envie de pleurer. Ma poire de douche goutte (je me demande si c'est une sorte de test pour vérifier la solidité du mental des pratiquants), le robinet de mon lavabo est bloqué, la porte de la douche est à moitié arraché, et je me sens extrêmement triste. 

Le repas n'est pas prévu ce soir, alors je mange dans ma chambre ce que j'ai apporté, assise par terre en pleurant, face au mantra de compassion affiché sur le mur :


Avec le recul, je ne saurais pas plus dire pourquoi je me suis sentie si triste. Je crois que l'énergie du lieu m'a bouleversé, et que je pressentais que j'allais devoir faire face à des choses qui me déplairait.

J'avais pris des livres avec moi, plutôt du développement personnel pour rester dans le thème. 
J'hésites entre : 
- "Je ne m'aime pas"
- "Éloge de la lucidité", 
- "L'estime de soi". 

 

J'opte pour ce dernier, que je commence à lire, doublement enroulée dans mon sac de couchage et dans le grand plaid tout-doux de mon canapé (j'avais décidé de l'embarquer à la dernière minute, comme un doudou : idée géniale)
Et, plongée dans mon bouquin, j'oublie doucement mon incompréhensible tristesse. Je dévore les cinquante premières pages, essayant de me placer sur leur échelle de l'estime de soi : ai-je une estime haute et stable, haute et instable, basse et instable, basse et stable ?
Je réalise que j'ai une estime de moi plutôt "basse et instable", oscillant parfois vers le "haut et instable". Je me dis qu'il y a quelques années, j'étais indéniablement "basse et stable", avec de bonnes couches d'auto-dévalorisation, et je trouve ça très positif d'avoir évolué en ce sens.
J'éteins vers 22h, plutôt de bonne humeur.

La journée devait commencer le lendemain à 7h, et j'avais mis le réveil à 6h40. Mais comme je craignais de rater le réveil (ou qu'il ne sonne pas), ajouté au fait que je dormais dans un lieu inconnu, et que les portes des chambres n'étaient pas munie de verrou (et qu'un canadien chauve traînait dehors), j'ai extrêmement mal dormi.


A 7h, je me dépêche de rejoindre la salle de méditation, pour la première séance du jour. 

Notre "enseignant", moine canado-tibétain, habillé de la robe traditionnelle rouge des moines bouddhistes, trimbale partout sa très haute taille, son accent québécois, son sourire bienveillant, une tasse de café avec une inscription en sanskrit (je me dis que si ça se trouve, c'est écrit "Meilleur moine bouddhiste de l'année" ou "J'aime le Dalaï Lama", et personne ne se doute de rien), et ses charentaises dans lesquelles il traîne amoureusement et très bruyamment les pieds. 
Le personnage est cocasse, c'est rien de le dire. 

Il nous fait commencer par une méditation, qu'il introduit par le même chant incroyablement guttural de la veille, avant d'aborder le thème tant attendu : les émotions. 
Toutefois, le sujet sera traité du point de vue de la philosophie bouddhiste, et je commence à me demander si j'y trouverai mon compte. 
Le moine nous explique que l'objectif du bouddhisme est la recherche du bonheur, qui est l'essence de la vie, et que ce bonheur ne peut être atteint que par le calme mental. Ce calme mental s'obtient par la maîtrise des émotions.  
Il nous explique qu'il y a deux types de bonheurs : temporaire et permanent. Les bonheurs temporaires sont tous les petits bonheurs d'une vie : manger un bon repas, s'installer au soleil quand on a froid, etc. C'est agréable, mais très passager. Le bonheur permanent est l'état d'esprit de calme mental visé par les bouddhistes - et passe par la compréhension et la libération des émotions.
Mais que, quoiqu'il en soit, il faut commencer par les bonheurs temporaires

Nous faisons 3 séances d'1h ce matin là : une de 7h à 8h, puis de 9h30 à 10h30, puis de 11h à 12h. A chaque pause, je me rue dans ma chambre pour faire une micro-sieste. 
A midi, il y a une pause de 2h30, et je vais dormir 1h. J'ai l'impression que j'ai soudain une soif terrible de repos.

Je me prend tout de même une demi heure pour aller découvrir les environs, que je n'ai pas pu voir la veille parce qu'il faisait nuit.
C'est idyllique.




Bien sur, je trouve le moyen de me vautrer dans la foret, et de dévaler une pente boueuse. Je rentrerai tellement crottée que je mettrai de la terre partout jusqu'au lendemain.
Je retrouve aussi ma voiture, lâchée n'importe comment au milieu de nulle part, pleine de boue. 

Nous reprenons les séances l'après midi : une de 14h30 à 15h30, puis de 16h à 17h, puis de 17h30 à 18h30. C'est intense, entrecoupé de courtes séances de méditation et de mini-siestes pour moi.

De nombreuses notions sont abordées, que je découvre sans les découvrir, tant tout me semble d'une logique imparable : nous sommes malheureux parce que nous nous complaisons dans des états mentaux négatifs, alors que l'on pourrait agir sur leurs "antidotes".
Le moine choisit de commencer par l'émotion négative d'attachement. Que ça soit aux choses matérielles... Ou à des personnes. Il me semble que ça parle directement à ma (mauvaise) conscience. Étonnamment, à l'heure où je sais qu'Isaac et Victoria sont à leur concert, le moine propose un exercice : une méditation où l'on visualise son émotion négative sous forme de fumée, que l'on expire. On inspire une belle lumière blanche, et on expire cette fumée rouge, toxique, de l'attachement.
J'ignore combien de temps dure l'exercice. Il est à la fois très éprouvant et très puissant, d'autant plus qu'il tombe à point nommé. C'est une souffrance autant qu'une libération.
Lorsque le moine fait chanter son bol tibétain et que je rouvre les yeux, la moitié de la salle, comme moi, est en train de pleurer.

Au repas du soir, je discute avec différentes personnes - dont un homme de 59 ans qui est arrivé en même temps que moi la veille. 
Après le repas, où je suis responsable de la vaisselle avec deux autres personnes (les corvées tournent à chaque repas), je m'installe avec d'autres personnes. Et puis 3 femmes décident d'aller méditer dans la salle "Tu viens ?" me demandent-elles. 
Allez.
20 min de méditation dans cette salle incroyable.
Je commence à me sentir bien, ici.

Après ça, je retourne dans ma chambre et je me plonge à nouveau dans L'estime de soi. Je me lance dans un historique de mon histoire : à quel moment ai-je perdu mon estime de moi-même, au juste ? 
Je m'aperçois que très tôt, mes socles ont été brisés. Dès la 6e, où j'étais souffre-douleur et marginalisé, je n'avais plus grand chose à quoi me raccrocher. Rapidement, plus tard, je n'avais même plus le soutien familiale (au contraire !), et pas d'amis. Soit, selon les auteurs, les choses censées apporter de l'estime de soi à un enfant. 
C'est con, avant cela, j'étais une petite fille plutôt épanouie ! 
J'ai soudain le sentiment qu'on m'a pété les deux rotules beaucoup trop jeune.
Je crois que je comprends mieux les choses.

Et là encore, j'ai le sentiment de ne pas être si mal placé sur le chemin de l'évolution, compte tenu des circonstances.


Le lendemain, à 7h, c'est à nouveau très compliqué : La première séance, je dois lutter pour rester éveillée. 
Et comme je parle avec des gens pendant le petit déjeuner, je n'ai pas le temps d'aller faire une sieste. 
Du coup la deuxième séance est tout aussi compliquée.

Mais j'ai pu manger avec l'homme d'hier, qui se confie : de confession chrétienne, il est venu ici pour découvrir une philosophie qu'il ne connait pas. Et ça le perturbe énormément. Il est au bord des larmes "Non, ce n'est pas négatif. Ni positif. C'est juste... Perturbant". 
Il a fait partie de nombreux groupes de travail religieux, et, il y a quelques mois, a eu une sorte d'illumination en pleine réunion, une prise de conscience tragique : il a affirmé, à lui même et aux autres croyants "Notre religion est une impasse. Notre Dieu est une impasse". (Ça n'est pas très bien passé).
Je suis touchée, bouleversée par cet homme, qui, à 59 ans, cherche sa voie. Et parle comme un homme qui va bientôt mourir, disant qu'il ne lui reste plus beaucoup de temps. Il explique aussi, la voix tremblantes, qu'il a passé sa vie à chercher à vivre ce que vivait les autres, à se sacrifier, à expérimenter la souffrance juste pour mieux comprendre les autres, s'en sentir proche. Et que tout ça, aujourd'hui, face à ces séances, lui semble vain. Pourtant sa religion vantait le sacrifice - qu'a-t-il fait de sa vie ? 
Je ne sais quoi lui répondre.

Nous méditons à nouveau, cette fois en chantant le mantra de compassion "Om Ma Ni Pé Mé Houng", et au fur et à mesure, toutes les voix se mêlent les unes aux autres, y compris la mienne, d'abord chuchotante, hésitante, timide, puis affirmée. Et celle de ma voisine. Et celle de mes autres voisines. Et elles s'affirment, et elles gagnent en force.
Mon cœur s'emballe, l'émotion monte, mais ce n'est pas une émotion négative, non, c'est de la joie, c'est de l'admiration pour cette énergie folle qui vient de nous traverser.

Le repas de midi est agréable. Je mange avec le canadien-chauve-des-bois, qui s'est avéré être le directeur du centre - et beaucoup moins louche que ce que je pensais aux premiers abords. (Malgré son absence de cheveux et son accent)
Il raconte son parcours, assez ahurissant : il a bossé pour les Nations Unis, il a vu des choses dingues, il a viré des personnes haut-placé qui violaient des jeunes filles au Congo (ou ailleurs), il a eu accès à des dossiers très sensibles, il a vu toute la corruption et la mafia des classes dirigeantes, il était aux premières loges lors de l'affaire DSK et peut donner en détail le pourquoi du comment, il connait tous les trafiques de drogues, d'êtres humains, les arrangements avec la loi... Et à un moment, il a lâché son job à l'ONU, a fondé son centre de méditation en France, où il y est en tant que bénévole, et ne touche pas un centime dessus - c'est un choix. 
Il me dit aussi que les gens peuvent venir aider au centre - il faut rénover, jardiner, repeindre, etc. Le centre est tout jeune, il a juste quelques mois, et toutes les bonnes volontés sont bonnes à prendre.
- Vous faites des appels ?
Il rit
- On ne demande rien. Les gens viennent aider.
- Et si je veux venir aider ?
- Tu es la bienvenue. Tu seras accueillie en amie, et nourrie, logée, en échange de quelques heures de travail par jour.
Ca m'émeut.
Son sourire est doux, son regard - d'une couleur indéfinissable - est franc, et il respire la tranquillité. Et si je venais régulièrement me ressourcer ici, loin de chez moi, en échange de donner un coup de main, et permettre au centre de grandir ?! Cette perspective me met en joie.
Je retourne marcher un peu, avant la dernière séance du weekend. 

On termine sur un dernier chant, puis on part vider nos chambres.
Il est 15h, il fait un temps radieux, ma chambre est pleine de terre séchée et de feuilles mortes suite à ma chute de la veille, et je mets un certain temps à la nettoyer. 
Puis je fais un petit tour à la boutique, et achète un bol chantant, espérant qu'il m'aidera à focaliser mon attention. "Si tu arrives à être attentive pendant 1 min, me dit le canadien-des-bois, c'est bien. Ensuite tu seras attentive 1 min de plus. Puis 1 min de plus. Et c'est ça qui est important : l'addition de ces minutes".
Il me le fait 10€ moins cher qu'annoncé parce qu'il a vu mon hésitation. 
Infinie gratitude.

Je repars en même temps que mon chrétien reconvertit. Il me redit qu'il est perturbé. Mais il reviendra à la prochaine formation, qui durera cette fois 5 jours. Pour ma part, j'adorerai me plonger dans cette ambiance aussi longtemps, mais je ne pourrais pas financer le stage. Je lui dis. Il répond "Moi, je ne dois plus attendre, et faire les choses tout de suite. Il ne me reste plus tant de temps que ça".
Je ris "Oh, tout de même, tu as 59 ans, ça va !"
Il secoue la tête.
Je ne sais comment interpréter cela - et ne lui pose pas de questions.

Je repars. Le temps est radieux, je chantonne "Om Ma Ni Pé Mé Houng", et me demande si je saurais garder les bénéfices de cette formation dans ma vie de tout les jours.
En tout cas, je remarque que chaque fois que je pense à Isaac (et Victoria), j'expire une fumée rouge, pour me débarrasser de cette encombrante émotion toxique d'attachement.
Je peux essayer de suivre cette voie, en tout cas.


Et faire chanter mon bol pour calmer mon agitation.

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