jeudi 14 novembre 2019

Bénévolat (dés)organisé, mon premier amour et autres emmerdes


J'ai grandi au milieu des montgolfières. Mes grand-parents, plusieurs tontons, et maintenant ma mère sont équipiers et bénévoles depuis des années. Nous connaissons donc pas mal de pilotes, et j'ai plusieurs heures de vol à mon actif - je sais que ça fait rêver pas mal de monde, personnellement je suis assez blasée - et traumatisée par des atterrissage très rock n'roll.

Ça faisait des années que je voulais être bénévole pendant l'été pour retrouver une ambiance que j'aimais lorsque j'étais enfant. En plus c'était l'occasion de passer une semaine avec ma famille.

...

Quelle idée à la con !

C'était en août.

J'ai rejoint le groupe de bénévoles chargés de l'organisation, et nous voici à la première réunion. Ma grand-mère dit à tous le monde « C'est ma petite fille ! Tu connais ma petite-fille ? Je te présente ma petite fille ! », pendant que j'esquisse un sourire gêné à chaque fois.
Ma mère est ravie aussi, et bien sûr nous avons droit à des remarques régulières sur l'aspect générationnel et familiale de tout ça. Et j'esquisse à nouveau des sourires gênés.
Arrive un homme, environ 25 ans, plutôt mignon, style un peu rock/geek. Qui me dit « T'inquiète, moi il parait que j'ai été conçu lors d'une sieste crapuleuse dans une camion, sur un terrain de vol. On me raconte ma propre histoire depuis des années - et la sexualité de mes parents ». 
Ça me fait tout de suite relativiser. 

La réunion ne sert strictement à rien, puisque si nous sommes tous là, personne ne sait encore ce qu'il y aura à faire, ni qui fera quoi.
(Mais sinon, ils font ça depuis des années, merci)

La veille, nous devions clôturer le terrain avec des barrières de sécurité. Nous étions 7 : Mon papy (80 ans), les deux organisateurs bénévoles (Appelons-les Richard et Francine : l'un est diabétique, édenté, et retraité, l'autre est obèse et ne peut rien porter), un bénévole de 65 ans sourd comme un pot (appelons-le Daniel), ma mère qui a une tendinite, mon frangin de 15 ans et moi.
Ça sentait déjà la fine équipe.  
Pour résumer très rapidement ce moment d’anthologie (qui aurait dû me faire comprendre que je devrais fuir tant qu'il était encore temps), Richard disait un truc, Daniel faisait l'inverse, mon papy voulait charger les barrières sur une remorque "pour aller plus vite", ma mère suivait les avis de mon papy, Francine disait « Je ne peux rien porter » et « J'espère que la tireuse à bière sera livrée ce matin », et moi j'ai dit à mon frangin « Ecoute, on va aller clôturer là-bas, et les laisser se démerder de leur côté ».
Résultat : nous avions posé une trentaines de barrières quand ma mère a démarré la voiture, et que les barrières qu'ils avaient chargées sur la remorque se cassaient la gueule. Nous nous sommes regardés, mon frangin et moi, et avons continué.
Vers 10h du matin, il faisait 27°C, nous mourrions de chaud, et nous avions fait la moitié du terrain. Francine disait « De toute façon l'année dernière ça nous a pris deux jours, alors ça sera pareil cette année ». Et puis « Je me demande si la tireuse à bière arrivera ce matin ». 
A 11h, les trois quart du terrain étaient clôturés. Mon frère et moi étions en nage, mais d'une redoutable efficacité. J'étais fière de nous.
Daniel disait : « Mais vous ne vous arrêtez jamais ?! ». Francine disait : « On devrait arrêter et faire le reste cette après-midi », ce à quoi je répondais « Cette aprem il doit faire 35°C, moi je ne fais pas ça en plein soleil, on termine ce matin ! », et Francine disait « Mais c'est l'heure de l'apéro... Enfin, la tireuse à bière n'est pas encore là, c'est bien dommage »
A 11h45 on avait tout fini, et Francine et Richard faisaient la gueule parce qu'ils n'avaient plus rien à faire l'après-midi.
... Et parce que la tireuse à bière n'était pas arrivé.

Revenons donc à cette réunion. Où il est dit que nous avons clôturé le terrain en un temps record, merci à nous. La tireuse à bière doit arriver demain. Et pour le reste, on verra au fil de l'eau. 
J'étais déjà épouvantée.

Sur ce arrive un mec, dont les traits ne me sont pas tout à fait inconnus. Ma grand-mère me donne un coup de coude : « Tu le reconnais ?! ».
Il s'avère (le monde est si petit), que cet homme, 32 ans comme moi, est Guillaume, avec qui je faisais du sport lorsque j'avais 10 ans, et duquel j'étais follement amoureuse. Je lui avait fait une longue déclaration sous forme de poème acrostiche, avec un porte clef gravé à son prénom.
... Evidemment, je m'étais pris une veste, et je me souviens lui avoir dit « Non non, garde le porte-clef, je ne ferais rien d'un porte clef à ton nom ». Et j'avais arrêté l'activité sportive pour ne plus le voir.

Il m'ignore superbement, et ne s'abaisse même pas à me saluer - alors qu'il salue tout le monde. 
Je suis dans mes petits souliers.

Le lendemain, l’événement commence officiellement.

Nous arrivons en fin de journée, pour apprendre que la tireuse à bière est arrivée, et que ma mère et moi devons surveiller le parking.
« Faire quoi ?! »
« Surveiller le parking. Surveiller que les voitures qui arrivent sont bien des pilotes ou des équipiers - bon, enfin ça normalement c'est bon, il y a un vigile + Richard en amont qui vérifient les laisser-passer - , empêcher les piétons de passer, et empêcher les gens d'aller aux toilettes »
« C'est une blague ? »
« Pas du tout. C'est très important »
Nous allons donc (à deux) regarder passer les voitures des pilotes - des SUV, des jeep, des pick-up, des monstruosités américaines, qui consomment à mort - pendant que quasi personne ne nous dit bonjour.
Lorsque les montgolfières commencent à être gonflés et à s'élever, nous surveillons notre parking. Quand tous les équipiers partent en "retrouving" (c'est-à-dire suivre le ballon, et le récupérer à l’atterrissage), nous surveillons notre parking vide. Puis la nuit tombe - et nous surveillons toujours le parking.
Ma mère est extatique, comme si ce que nous faisions avait un sens. « Mais... Heu.... On s'en fout si ya des piétons sur le parking, non ? »
« Ah non, il ne faut pas ! »
« Pourquoi ? »
« Il ne faut pas, c'est tout. C'est Francine qui l'a dit ».
Francine qui, d'ailleurs, en est à sa quatrième ou cinquième bière. Après 3h à surveiller un maudit parking, sur ce coup là, je déteste ma mère qui ne pose aucune question, et regrette amèrement mon engagement.

Puis les véhicules reviennent, tout le monde se bourre la gueule à la bière, et en une demi-heure ils ont torchés deux fûts. Je regarde tout ça avec des yeux ronds.
Mais qu'est ce que je fous là ?!

Ma grand-mère arrive, me met un coup de coude : « Dis donc, tu penses quoi du petit jeune là ? » (elle désigne le petit geek frisé)
« Il est plutôt mignon », dis-je.
« Oui, je trouve aussi »
Elle fait une pause, puis dit d'un air faussement détaché :  
« Il te regarde beaucoup »
« J'ai remarqué aussi.... Je pense que je lui plais »
« Oui, je pense aussi. Je m'en occupe ! », dit-elle.
« Heu, quoi ?! »
Elle rejoins à petit pas Jean-Luc, 75 ans, son ancien amant et accessoirement assureur à la retraite. Ils discutent tous les deux, regardent le p'tit geek, puis me regardent moi, puis à nouveau le p'tit geek, hochent la tête, rient un peu, me font un gros clin d’œil, et repartent chacun de leurs côté.

Je n'aime pas ça.

Le lendemain, les choses se passent exactement de la même façon : surveillance de ce foutu parking pendant des heures, inutilité totale de cette mission, et une tenace impression de vacuité.
Pendant que Francine se bourre la gueule, et lâche son poste pour aller prendre des photos. 
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi les gens continuent à se fier à elle et à l'apprécier.
« Elle est gentille », dit ma mère.
Moi je ne la trouve pas très gentille, quand elle vomit tel ou tel pilote dans son dos, qu'en face elle lui donne du "Mon poulet !" et dégueule sur un autre. Mais dans l'ensemble tout le monde fait ça - y compris ma mère, et ça me donne une image d'elle très dérangeante. « Mais pourquoi tu dis bonjour aussi chaleureusement à untel alors que tu me dis que c'est un sale con ?! ». « Bah, j'vais pas lui cracher au visage ! » « Non, mais ya une différence entre lui cracher et visage et être sympa avec ! ».
On ne se comprend pas.

Je meure d'ennuie, et propose d'aider à la collecte des tickets repas, puisque c'est chaque jour un gloubiboulga d'emmerdes, et de chiffres qui ne collent pas.
Je comprends vite pourquoi : Pendant que je coche les tickets qu'on me donne, Richard rajoute des traits, ou me dit « Machin a donné 3 + 2 tickets, tu notes 8 tickets ». « Mais, heu... Ça fait 5... » « Notes 8 ! » « Mais Richard, 3+2 ça fait 5 !!! ». Petit silence. « Ah oui ça fait 5. Notes 5 tickets !!! ».
Je plonge dans des abîmes de désespoir.

Ajoutons à cela que le gros naze dont j'étais amoureuse à mes dix ans m'ignore tellement qu'il ne me donne même pas son ticket en main propre, préférant le donner à Richard. Qui donc le perd, et fout en l'air mes calculs.
Je me sens officiellement comme une merde.
Heureusement, le p'tit geek arrive, et me donne son ticket en me faisant un tour de magie. Il me regarde droit dans les yeux et me fait un petit sourire timide quoique mutin. 
Dans son dos, la tablée des grand-parents s'arrête de parler, tous les visages braqués droit sur nous. Mamie me fait un gros clin d’œil, Jean-Luc frétille.
C'est un peu gênant.
Je m'affranchis toutefois des retraités prêts à faire la ola au moindre soupçon de flirt, et lui rend son sourire, en effleurant sa paume du bout de mes ongles lorsque je récupères son ticket. 
Il ne me quitte pas des yeux de la soirée.

Jean-Luc passe son temps à me dire « Tu es vraiment mignonne » (puis s'adressant à ma mère) « Elle est vraiment mignonne ta fille », et puis « Je suis photographe amateur, je sais ce que je dis ! ».
Et puis il revient : « Roh, tu es vraiment mignonne ».
« Ça commence à devenir gênant, Jean-Luc... »

Le lendemain, après des heures à surveiller le parking, et l'impression de perdre mon précieux temps, je me dis que je vais tenter une approche auprès du p'tit geek. Qu'au moins il se passe un truc dans ce bénévolat à la con.
Je le rejoins dans la soirée, pendant qu'il rédige je ne sais quel compte-rendu (il a un rôle un peu plus passionnant que surveiller un parking, lui). J'ai pris garde à me faufiler sans que les retraités en folie ne me voient, et nous sommes en dehors de leur radar, du moins pour l'instant. 
Je lui demande ce qu'il fait. il m'explique donc sa mission, qu'il enveloppe de remarques du genre « On m'a donné à faire ça parce que je suis excellent, et qu'on me fait confiance au niveau national » ; et autre « J'ai inventé un système de points bien meilleurs que ce qui existait avant. Faudrait juste que les pilotes soient assez bon pour pouvoir scorer ».
Je suis scotché par son ton hautain et péremptoire.
Là j'aperçois du coin de l’œil ma grand-mère qui me cherche, m'aperçoit, et repart fissa à petits pas pour prévenir sa Team d'une opération en cours. Je ne peux pas m'empêcher de jurer tout bas.   
Ensuite il me dit que son ordi coûte une blinde, et aussi qu'il est game designer, et tellement free, et qu'il a organisé des crowfunding pour créer des jeux mainstream... Il continue, mais je n'écoute plus : Je suis en train de débander. Mentalement, il n'y a plus aucune attirance. Je ne cherche plus qu'un moyen de me tirer de ce guêpier dans lequel je me suis fourrée. Cela dit, il commence à chatter sur Facebook sans plus me calculer, donc je choisi finalement de partir sans prendre la peine de me justifier. 
Lorsque je m'occupe des tickets repas, c'est la même merde que la veille. Et j'entends dire qu'il y avait encore des erreurs, hier... Sauf que Richard a retrouvé des tickets dans ses poches, et ignore d'où ils viennent.
Tout le monde est archi bourré, les fûts de bière se vident à une vitesse folle, et ils me donnent tous envie de gerber.

Le lendemain, le rythme se corse : il faut être sur place à 5h du matin. J'ai peu dormi, encore très énervée, à tourner et retourner cette question dans ma tête : Mais pourquoi on garde ce parking à la con ?!
Pourquoi on est une dizaine de bénévoles pour 3 postes à la con ?
Pourquoi c'est (dés)organisé comme ça ?
Tout me semble absurde, tant c'est extrêmement mal pensé. 
Et les remarques méchantes des uns et des autres, l'hypocrisie latente, achèvent de me démunir face à cette situation que je ne comprends pas, à cette ambiance épouvantable - qu'on calfeutre sous une convivialité apparente. 

Je suis complètement à cran lorsqu'on arrive à 5h du matin. 
Et là Francine dit : « Ah ben en fait vous n'étiez pas obligé de venir ! Ya pas besoin ! »
Je ne peux pas m'empêcher de rétorquer : « Il aurait peut-être mieux valu le dire avant qu'on arrive, non ? »
Je pars me prendre un café, furieuse. Mais pourquoi personne n'a fait un planning ? Des plages horaires ? Une liste des besoins ? Une rotation des rôles pour que chacun puisse faire un peu de tout ?! 
Je reprends un autre café.

Là dessus, mon grand-père arrive. « Qu'est ce que tu fais là ?! Pourquoi tu n'es pas en train de surveiller le parking ? »
« Parce que Francine a dit que ce n'était pas utile. Que d'ailleurs ça ne servait à rien qu'on vienne. Et accessoirement, il est 5h du matin et il fait nuit noire : on ne voit même pas ce foutu parking ! »
« Richard a dit que le parking devait être surveillé ! »
« Eh bien, Francine a dit l'inverse »
« Le parking DOIT être surveillé »
« Mais il n'y a personne, putain, il fait nuit !! »
« Si on te dit d'aller surveiller le parking, tu vas surveiller le parking et tu ne discutes pas ! Et si tu n'es pas contente, tu n'as qu'à partir ! »
J'en suis à mon 3e café, je n'ai pas vraiment dormi, et ça fait 4 jours que je ronge mon frein. Je pète complètement les plombs :
« Mais bordel mais c'est quoi cette organisation de merde ?! Il n'y a personne qui n'est d'accord avec personne, et on se retrouve à faire des trucs stupides, sans même savoir pourquoi ! »
Folle de rage, je me rue sur Francine : « Vous me faites tous chier, vous ne pouvez pas vous mettre d'accord les uns avec les autres ?! »
« J'ai rien fait, j'ai rien fait ! », halète-t-elle comme un poisson hors de l'eau. 
Je la trouve pitoyable.
« Rien n'est organisé, et on se retrouve à se faire hurler dessus parce que l'un à dit blanc, l'autre à dit noir ! Ce putain de parking est juste le purgatoire, bordel de merde ! ». Je suis en train de sangloter, ma voix part dans les aiguës, et je finis donc en lâchant « Eh bien je vais surveiller ce parking à la con ! »

Je me retrouve donc à pleurer sur un parking entièrement plongé dans la pénombre, les premières voitures manquent de m'écraser, puisqu'elles ne me voient pas. C'est une absurdité sans nom.

Daniel arrive, me prend dans ses bras, il y a de l'admiration dans ses yeux et du rire dans voix : « Tu as foutu un beau bordel. Ils sont enfin en train de se dire que peut-être, ils auraient pu faire mieux que ça. Tu as eu raison. Moi j'oserai jamais faire un truc pareil, et puis de toute façon tout le monde se moque de moi et me prend pour un idiot - je m'en rend bien compte. Tu as eu raison ». Il me serre fort contre lui, et je suis, j'avoue, assez sidérée.

Ma mère passe, je lui explique, toujours en sanglotant, ce qu'il s'est passé. 
Je saurai plus tard qu'elle a foncé aussi sec voir mon grand-père pour lui dire d'arranger les choses parce que je suis dans un état pas possible.
Sauf que lorsqu'il arrive, c'est pour me dire « De toute façon faut surveiller le parking ! », et je l'envoie chier dans les formes.
Je sanglote de plus belle.

Lorsque toutes les montgolfières sont partis, Daniel vient me chercher : « Laisse, vient au chaud, c'est bon »
Je reviens.
Mon grand-père : « Mais qui surveilles le parking ?! ».
« Mais on s'en BRANLE, ya plus rien sur le parking, ni sur le terrain ! »
« Regarde, quelqu'un rentre, c'est ta faute ! »
Je repars en hurlant : « Je vais brûler ce putain de parking ! »
Ma grand-mère revient me chercher 5 min plus tard : « Laisse-le râler, tu sais comment il est ».

Plus tard, il revient me voir, et me dit : « Ça y est, tu es calmé ? »
Ce qui me fait immédiatement flamber de rage à nouveau.
On s'engueule donc une troisième fois.
Mon grand-père part faire rageusement le tour du terrain à pieds, pendant que je bouillonne, et que je continue de pleurer à gros hoquets, mon visage ravagé par les larmes. Je me cache sous mes lunettes de soleil, et essaie de maîtriser mes tremblements.

Je dois attendre que ma mère revienne - ce matin, elle vole. Francine aussi, d'ailleurs. On est trois (plus papy qui fait le tour du terrain), ma grand-mère panique parce que la machine à café est bloqué (mais elle kiffe parce qu'il va falloir faire venir le technicien, qu'elle trouve hyper charmant. D'ailleurs cette panne n'est peut-être pas un hasard...). Je discute mollement avec un autre bénévole, qui me fait tout un topo sur le lâcher-prise.
Puis il me raconte qu'il héberge le p'tit geek, « C'est un ami hein, mais.... » - et après ce "mais", il accable le p'tit geek des pires horreurs. Puis il me parle d'une pilote : « Tu sais, l'autre là, elle est jeune, elle à sa propre montgolfière depuis peu, elle est nouvelle - mais elle a intérêt à rester à sa place. Son mari est décédé d'une chute - c'est bizarre, cette chute -  en plus elle est musulmane, alors va savoir à quel point elle a joué un rôle là dedans... ». 
Je suis épouvantée d'entendre un tel discours, lâché avec si peu d'émotions. 
Je suis à deux doigts de répliquer « Es-tu en train de l'accuser de meurtre ? », mais je ne dis rien. 
Je prends seulement la décision de me tirer le plus vite possible de cet endroit malsain, bourré de gens profondément méchants.
J'avoue qu'avec le recul, je regrette toutefois de n'avoir rien dit. Peut-être qu'en mettant les gens face à leur méchanceté, ça aurait bougé quelque chose ? 

Lorsque Francine revient, elle me dit « Tu m'as fait peur tout à l'heure. Ohlala, quelle scène ! J'étais choquée ! ».
Je lui rend mon badge. Elle blêmit :
« Mais... Qu'est ce que tu fais ? »
« Je rentre chez moi. C'est bon, c'est terminé. J'ai autre chose à faire que venir ici, et me faire hurler dessus »
« Oui mais aussi ton grand-père... »
« Non mais c'est bon. Mon grand-père est une tête de holtz, mais on n'en serait pas là si les choses avaient été claires dès le début, et s'il y avait un semblant d'organisation »
Francine est en train de me reprocher d'être gentille et affectueuse avec mon papy (« Pourquoi tu lui fais des câlins, s'il est aussi têtu ?! »), quand Daniel arrive. Il me prend dans ses bras, et me dit « Tu t'en vas ? Tu as raison. Laisse tomber »
Il dit d'autres choses que je n'entends pas puisque Francine stridule dans son dos : « Et tu devrais te méfier des faux-jetons et des hypocrites, des personnes qui viennent ici juste pour boire et faire les pique-assiettes ! Toi tu n'as rien à te reprocher, mais ce n'est pas le cas de tout le monde ! ». Daniel me regarde calmement, et me murmure : « Tu sais, je suis à moitié sourd mais je sais ce qu'on dit dans mon dos. T'inquiète ».
Je suis révoltée. 
Dès qu'on se retourne, Francine se tait - dans son dos, mais pas devant lui hein ? Je n'ai plus que du mépris pour elle.
« On m'a dit "si ça ne te plait pas, rentre chez toi". Ça ne me plait pas, donc je rentre chez moi. De toute façon on est beaucoup trop pour trois fois rien, donc je ne mets personne dans la merde ».
« Mais tu n'as même pas volé... »
« Francine... Je m'en fous, de voler. Je suis venu donner de mon temps, pas mendier un vol. Je voulais me rendre utile. Sauf que je suis parfaitement inutile ici. Alors je rentre chez moi, pour faire des choses constructives et importantes. Voilà mon badge. On ne se reverra probablement pas. Au revoir »  

Je suis repassé chez ma mère, j'ai fait ma valise, et je suis partie. « Tu sais... Tu n'es pas obligée de partir... Nous on y est pour rien... » dit-elle, hésitante, en parlant d'elle et de mon frangin. 
Je me sens soudain affreusement coupable. « Je ne dis pas le contraire, pas du tout ! J'ai juste besoin de mettre une distance géographique avec tout ça ! C'est juste ça. Rentrer chez moi, être seule, faire le point »
J'ai l'impression d'avoir tout raté.
Je sanglote à nouveau - bon sang, j'ai vraiment besoin de sommeil.

Je pleure dans ma voiture - et puis au fur et à mesure que les kilomètres s'égrènent, je me calme. J'arrive chez moi 1h40 plus tard, soulagée, heureuse de retrouver mon cocon. J'ai le sentiment que j'ai laissé cette sale histoire loin derrière moi.
Le soir, je retrouve Copine#1 pour un pique-nique sur le port. Il fait chaud, l'air et doux, j'ai un fond de bouteille de vin pour l'apéro. Les derniers lambeaux de colère s'estompent.

Même si je sais que ce soir, les ragots vont aller bon train, et que ça va dégueuler sérieusement sur mon dos.

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