samedi 9 novembre 2019

Toute l'intensité d'un instant, en un seul mot




Deux jours après notre dernière nuit, je rumine toujours ce mardi que je juge catastrophique, et l'envie est trop forte : je lui propose de me rejoindre chez moi, d'emmener son violon s'il le souhaite afin de répéter. J'ai posé mon après-midi pour pouvoir travailler à la maison, j'ai avancé sur ce que je voulais, je lui envoie un message à 16h30. En précisant que, s'il souhaite avoir une soirée de libre pour lui, je comprendrais tout à fait.

A 18h04, mon téléphone sonne, et s'affiche l'image de mon beau violoniste. Au bout du fil, il est exalté « Je sors juste du travail, et je viens de recevoir une invitation ! »
« Sapristi, mais de qui ?! »
Il éclate de rire « "Sapristi, mais de qui", ah ah ah ! »
Il me dit que ce serait un plaisir, qu'il doit repasser chez lui prendre des affaires, et qu'il vient. 
Il rit beaucoup, au point que je ne comprends pas tout ce qu'il dit.
Son rapport au rire est absolument fascinant. Est-ce qu'il rit quand il se sent heureux ?

A 19h, ça sonne. Je cours lui ouvrir. Il m'embrasse longuement sur le seuil de ma porte, pendant que je suis partagée entre me languir sous ses baisers, et surveiller que le chat ne se barre pas.

Il s'excuse parce qu'il est chargé, entre son violon et sa valise « N'ai pas l'impression que je t’envahis », dit-il. Je ris. Je sais que cette valise est la "valise du weekend", puisque demain soir en sortant du travail il part rejoindre Victoria. 
Et puis « Je ne me suis même pas changé ! Je suis mon ainsi dire... dans mon jus ». 
Je sais qu'il déteste ce costume élégant, qu'il se force à porter au regard de ses fonctions. « Mais moi j'aime beaucoup ! », je lui dis en allant me blottir contre lui, mon nez dans son cou. « ... Mais ?! .... Tu ne sens pas comme d'habitude ! Tu as changé de parfum ?! ». Je suis presque indignée.
Il m'explique qu'il était en répétition hier à 75 km de là, qu'il n'est pas rentré, il a dormi chez sa mère. De fait il n'avait pas son parfum, donc l'odeur que je sens, c'est juste lui... Je le sens très mal à l'aise, alors pourtant que je trouve que sa peau a une odeur riche et subtile, qu'importe qu'il sorte du boulot, qu'importe qu'il n'ai pas mis son parfum.

Il veut se changer, il me dit qu'il s'isole pour cela. J'ai envie de le regarder, mais je respecte sa pudeur - bien que je ne la comprenne pas vraiment, il ne m'a pas habitué à ça.
Puis, il me dit « Je t'ai pris au mot, j'ai embarqué mon violon... Je répète ? Tu es sûre ? »
Je suis bien évidemment sûre - et j'espère qu'il prend autant de plaisir à jouer pour moi que moi à l'écouter. Je prépare le repas pendant ce temps, et je sens  les variations de sa musique jouer avec mes émotions, me plongeant parfois dans la langueur, jouant avec mes nerfs, faire battre mon cœur ou m'émouvoir aux larmes. J'ai l'impression d'avoir une sorte de bande-son pour animer la préparation de ma soupe au potimarron - c'est très cinématographique.
Je me dis que je pourrais vraiment m'habituer à ça, et adorer une telle routine.
Oups, je glisse, ne pas penser à ça.

Lorsqu'il termine, nous nous installons pour manger. Nous discutons encore beaucoup du concours, de l'oral. Des différentes façon de manager. Son expérience est très précieuse, et je l'écoute attentivement : il manage une très grande équipe, et il a dû gérer pas mal de conflits.
Puis la conversation dérive. Il me parle de lui enfant, « J'étais un enfant magnifique ! ... C'est à l'adolescence que ça s'est gâté ». Il me montre une photo « J'étais la coqueluche de toutes les mamans ! ». Je vois un petit garçon aux cheveux noirs et à la mine farouche - une vraie petite canaille. Il a de grandes boucles noires et soyeuses, qu'on a envie d'ébouriffer.
Je lui montre une photo de moi à 10 ans, qu'il regarde très longuement, en s'exclamant « Extraordinaire ! C'est extraordinaire ! ». Je ris.
Nous parlons de l'adolescence, de nos premières histoires, du couple. Sans trop parler de Victoria (d'ailleurs il dit « Je ne souhaite pas trop parler d'elle »), il affirme tout de même toujours que ce couple à distance est pour lui la condition sine qua none d'un couple qui va marcher sur la longueur. Que la routine est terrifiante, que la vie de couple te fait voir l'autre à des moments où, finalement, il aurait peut-être mieux valu s'abstenir. Qu'il faut surtout ne pas s'oublier soi-même, lorsqu'on est avec quelqu'un.
Si je suis d'accord avec sa dernière remarque, je ne partage pas le reste de sa réflexion. Ça me semble un peu facile, de ne vouloir voir l'autre que de temps en temps, pour oublier que c'est un être humain comme les autres - comme soi-même. Je crois que je vois ça comme une forme de rejet. Et de toute façon, ce n'est pas ce que je souhaite dans ma vie.
Pour autant, je m'aperçois que cette discussion me fait mal. Bien plus que de savoir que notre histoire n'est qu'accessoire, bien plus que d'être la fille de l'ombre, bien plus que de penser à Victoria. C'est assez étonnant, et je me promets d'y réfléchir plus tard, pour comprendre pourquoi je vis aussi mal sa vision de la vie à deux.

Il dit aussi qu'il ne peut pas aimer quelqu'un sans ressentir une forme d'admiration, sans être touché par l'autre. Je le rejoins totalement sur ce dernier point.
Soudain ça me met face à moi-même - que voit-il ? Pourquoi se voit-on ? Qu'est-ce qu'il me trouve ?
Et le questionnement me met face à mes tentatives (souvent réussies) de dépréciation, et me provoque un vertige. Je ne suis pas prête à changer de vision sur moi-même.
Mais peut-être qu'un jour, il faudrait qu'on en parle... 

Plus tard, nous nous embrassons.
Il me juche sur ses hanches, et s'apprête à monter les escaliers comme ça. J'avoue que je ne suis pas trop rassuré. « Tu es sûr de toi... ? C'est un escalier tout de même... C'est un peu dangereux... »
Ses yeux brillent follement, et il me dit « C'est pas rassurant ton histoire... Tu veux vraiment faire ça ?! ».
« Mais... Tu te moques de moi ?! »
Je préfère descendre, même si j'ai adoré cette position, même si le moment où il m'a plaqué contre le mur, mes jambes enroulées autour de lui, m'a excité au plus haut point. Nous montons, étalant nos vêtements dans mon bureau, puis dans ma chambre. Sur le lit, nous nous embrassons, nous nous caressons passionnément. Il me lèche, il me caresse, jusqu'à ce qu'il sorte une poignée de capotes de sa poche. Il a du mal à ouvrir l'emballage, je l'entends grommeler, je saisie juste deux mot "Résiste" et "Saloperie", et ça me fait rire.

Comme toujours, le sentir en moi me provoque un hoquet de plaisir. Nous sommes assis, nous serrant l'un-l'autre en ondulant doucement, jusqu'à ce que je l'entende grogner, puis se répandre dans une jouissance sereine, qui le laisse apaisé, le visage calme. Je l'observe de près, fascinée, comme si je me nourrissais de ses expressions, de sa façon de se donner au plaisir - et je crois que c'est le cas. Nous continuons à nous caresser, et puis une dizaine de minutes plus tard, il bande à nouveau, et nous recommençons.
Je suis au dessus de lui, sa main sur ma fesse, ma main sur son cou, nos bouches ne se lâchent plus, mon autre main caresse sa joue, son autre main se perd dans mes cheveux. On ralentit pour se regarder, les yeux dans les yeux. Il y a une sorte de gravité profonde dans cet instant. A chaque coup de rein, je frissonne et je tremble. Dès qu'il effleure mes seins, je sursaute. Ses baisers dans mon cou sont ardents. Je suis au delà de la sensibilité, tout mon corps est ultra réceptif.
Nous faisons l'amour très lentement. C'est juste incroyable ce que je ressens - et je crois qu'il ressent la même chose.
Il est au-dessus de moi, je regarde son corps me surplomber, je tremble des pieds à la tête, chaque aller-retour me fait perdre la tête, et je l'entends chuchoter, avec émotion, sidération : « Oh la la ». Ce "oh la la", tellement expressif, qui finalement résume parfaitement cet instant d'une intensité magique, me bouleverse jusqu'au fond de mon âme. Je veux me souvenir pour toujours de sa voix, de son intonation, de ce mot à peine audible, lâché tout bas, caché au milieu de son souffle, lui qui ne dit d'habitude rien. Toute l'intensité de ce moment dans ce seul mot, prononcé par Isaac.
Il me caresse en même temps, et le plaisir que je ressens me donne l'impression de fondre, de me répandre en un état liquide, de ne plus ressentir les limites de mon corps, comme si je m'affranchissais de mon cocon de peau.
Et puis ça monte. Je pourrais jouir en même temps que lui, mais soudain la fascination l'emporte sur le crescendo du plaisir, et je l'écoute, je l'observe. J'écoute son souffle devenir rauque, s'accélérer, enfler, et soudain je retrouve le noyé : il aspire de grandes goulées d'air, puis serre les dents, petit gémissement aiguë, de grandes inspirations par le nez, puis des petits "oh !", presque surpris.

C'était un tsunami.

Ses contractions me font violemment sursauter, répandant en moi d'électrisant frissons. Il reste tout contre moi, nous sommes l'un contre l'autre, muets. Bouleversés.
Je crois que soudain, je suis saisie d'effroi : cette histoire va mal finir. Je le regarde, ses cheveux poivre et sel, la forme de son visage, les rides riantes au coin de ses yeux, sa bouche qui fait des sourire dont la largeur semble défier l'entendement, la façon dont il me regarde - et je suis terrifiée. On ne peut pas ressentir des choses aussi fortes, aussi bouleversantes, et en ressortir indemne. C'est impossible, et je prend conscience que nous allons nous brûler, à un moment ou à un autre. Il a beaucoup à perdre, moi à priori non. Pourtant, j'ai soudain le sentiment que je pourrais perdre beaucoup plus que je ne le crois. Que restera-t-il de moi, lorsqu'il faudra mettre fin à cette histoire ?
Je me dis gravement que j'aurais vraiment beaucoup aimé le rencontrer dans d'autres circonstances - nos lignes de vie se croisent, mais ratent le coche.
Dommage.
Quels dommages cette histoire laissera-t-elle ?

Nous nous endormons.
Je me lève pour aller fermer les volets et mettre un réveil, et retourne vite me coucher à ses côtés. Nous nous endormons l'un contre l'autre. A nouveau, je dors profondément, sereinement, dans ses bras, dans sa chaleur. Je crois que je n'ai jamais réussi à trouver la position idéale pour dormir à deux - mais avec lui, nos corps s'imbriquent naturellement, et nous dormons l'un contre l'autre comme si c'était la chose la plus simple du monde.
Je me réveille en ayant bavouillé sur son torse (classique...).
Les réveils sonnent, nous avons la même sonnerie, du coup on ne sait plus lequel sonne, lequel est en rappel.

On se caresse, il a envie, j'en ai tellement envie aussi, encore, mais le temps manque, et faire l'amour avec lui est tellement une forme d'art, que je n'ai pas envie de bâcler. Finalement il se juche sur mes hanches, me caresse les seins de sa mains gauche, me titille le clitoris de sa main droite, pendant que j'explore son torse du bout de mes doigts en le masturbant doucement. Il renverse la tête en arrière et jouit, avant de se serrer contre moi, caresser mes cheveux, me regarder en souriant.
Puis il faut se lever, courir. Il prend une douche, je fonce à la boulangerie acheter des croissants - j'ai les cheveux en bataille, les mains collantes, du sperme entre les seins, bien sûr personne ne sait, et je trouve ça très, très drôle. On petit déjeune rapidement. Il porte son costume, il est beau, élégant, toujours un peu intimidant ; mais il sourit, il est là, câlin et tendre. Il enfouit son visage dans mon cou en faisant des petit "mmmmh". Il me remercie à nouveau, plusieurs fois - je n'essaie plus de dire que ça fait "prestataire de services".
Il sourit encore, on rit beaucoup.
Il doit partir, moi je ne travaille que l'après-midi. « On se voit la semaine prochaine ? » dit-il en souriant. « Ça va être compliqué », je grimace. J'ai des épreuves de langues pour le concours, je pars la veille parce qu'il y a 200 km (et que je covoiture avec une collègue enceinte de 6 mois, dont j'aimerais éviter un accouchement prématuré dû à un aller-retour en bagnole sur la même journée)...
« On s'écrit ? »
« Bien sûr », je répond. Nos messages me procurent un grand plaisir, même si, (et nous sommes tombés d'accord là dessus), le texto n'est pas le support le plus pratique ni le plus approprié pour nos échanges à rallonge.
Qu'importe.

Il part, se retourne, m'embrasse les lèvres, m'embrasse à nouveau dans le cou en soupirant de contentement "Mmmmmh", repart, se retourne une dernière fois : « Tu sais... Une vie n'est jamais terne, quand on a un rapport à l'art, quel qu'il soit ».
Message subliminale par rapport à la discussion d'il y a deux jours.
« C'est ce que je voulais t'écrire, pour répondre à ta peur d'avoir une vie qui semble terne à mes yeux, mais je n'ai pas eu le temps de rédiger mon message ».
Je souris.
Ferme la porte.
Soupire.

Souris encore.

2 commentaires:

  1. Je trouve que c'est une belle histoire sur laquelle flotte déjà de la mélancolie. J'espère que vous vous en sortirez sans trop de dégât. Pas facile quand il y a des sentiments (et il y en a, des 2 côtés je pense).
    En tous cas, tu as une belle plume.

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    1. En effet. Il reste la possibilité de se dire que ça pourrait être une belle histoire, qui brûlera tranquillement et s'éteindra sans blesser personne... Qui sait.... Même si j'en suis de moins en moins sûre !
      Et puis il y aura sans doute toujours un fond de mélancolie, lié à ce que nous ne serons jamais.
      Je l'ai accepté, bien sûr.
      Mais c'est là tout de même.
      Merci pour le compliment en tout cas, ça me fait très plaisir ! C'est toujours facile d'écrire un moment puissant et bouleversant.

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