En attendant de pouvoir rencontrer l'amie (ou les amies) de David qui ont choisi de vivre leur maternité en solo, je me documente, je continue à réfléchir, et je m'aperçois que j'en parle beaucoup autour de moi, comme un sondage, comme pour repérer si je serai blâmé par mon entourage, et si beaucoup de partisans à la manif pour tous gravitent non loin de moi, prêt à se jeter toutes griffes dehors sur moi pour scander "un papa et une maman ou rien !" Je me documente :
Qui raconte la PMA. Ça a quelques années, mais c'est brulant d'actualité - et un peu déprimant, car j'ai l'impression que rien n'a évolué depuis, on parle de cette loi bioéthique "imminente", et quelques années plus tard, c'est "imminent" tout pareil !
Mais on est complètement dans le concret et l'aspect technique des choses - sans oublier l'énorme part humaine. Et comment ces enfants qui n'existent pas encore prennent une place importante, et brisent parfois des vies.
Une femme, autrice, qui décide de faire une PMA après une énième rupture. Un roman autobiographique, un parcours ahurissant, une histoire extrêmement touchante. Je n'ai pas lu le livre, mais je suis saisie par son discours, je la trouve attachante.
Dans son discours, beaucoup de "j'ai trouvé que ce n'était pas juste !". Oui, on n'a pas les mêmes trajectoires ni les mêmes cartes en main, pas les mêmes chances dans nos vies. Ça me parle et ça me touche.
Je me plonge dans ce roman qui se veut léger, sur une femme de 33 ans (ahah) qui décide qu'elle a 89 mois pour avoir un enfant. Je ne l'ai pas lu avec légèreté car difficile de ne pas s'identifier, surtout lorsque l'héroïne à le même âge, et globalement la même façon de penser !
En arriverais-je à coucher avec des géniteurs potentiels, avec le projet de disparaitre si ça fonctionne ?!
Le livre, classé en comédie romantique (trop moderne et trop ovni pour être ailleurs ?!) n'est pourtant ni vraiment l'un, ni vraiment l'autre. La fin est très ouverte, et laisse aux lecteurs la possibilité de se raconter leur propre histoire sur ce qui se passera vraiment.
J'ai bien aimé - ça reste toutefois une fiction.
Mais j'y trouve exprimée une question bien réelle : pourquoi, comment attendre *la* rencontre ? A quel moment, à mon âge, peut-on se laisser le temps de construire une histoire d'amour solide où viendraient prendre place des enfants ?! Une histoire ne se construit pas sur quelques mois. Un foyer ne se construit pas en quelques semaines. Faire des enfants trop tôt est un sacré coup de poker.
C'est, je crois, trop tard pour la famille dont je rêvais.
A 33 ans, je n'ai plus le temps de rencontrer, construire, fonder une famille. Je n'ai plus le temps de réaliser ce rêve.
Septembre et Octobre.
Je suis retournée à mes séances d'œnologie.
J'ai hésité, car les fois précédentes, j'y allais avec Isaac.
Et puis justement : je me suis dit que je n'allais pas arrêter d'y aller parce que ça me faisait penser à lui. Au contraire, je devais construire de nouveaux souvenirs à la place !
Copine#1, avec qui de toute façon nous n'avons plus vraiment de relations - Isaac aura réussi à détruire cette amitié, avec ses insinuations et sa haine de cette fille - a décidé de ne plus m'y accompagner. Nous ne partageons désormais plus rien toutes les deux, et nous ne nous voyons quasi plus.
J'envisage d'y aller seule.
Puis finalement, j'y vais avec un ami de mon groupe de méditation, que, suite à diverses mésaventures, j'ai fini par appeler "Papa ours". Ce qui nous fait mourir de rire tous les deux.
Je passerai une excellente soirée : je crois que c'est la meilleure soirée que j'ai passé là bas. Nous resterons d'ailleurs jusqu'à la fermeture sans voir passer le temps.
Je ne sais pas comment nous en arrivons à parler de mon projet de PMA. On se connait peu, pourtant. Je crois que c'est lui qui me demande si j'ai des enfants ou si j'en veux. Et l'alcool aidant, je lui déballe ce désir, le projet PMA, les questions, les doutes, les peurs.
Papa ours est un grand gaillard, de type bucheron sympathique. Il rigole tout le temps, et ses yeux se plissent au dessus de sa grosse barbe rousse. Il a l'âge d'être mon père, et je trouve d'ailleurs en lui un côté paternaliste rassurant. Il me parle de ses enfants, du bonheur que ça a été pour lui.
Il me dit "N'hésites pas. Ton projet est beau. Et faire des enfants à deux... Tu sais je me suis séparée de ma femme peu après la naissance du 2e. C'était une personne formidable, mais à ce moment là, elle a agit comme une vraie conne. On s'est déchiré. Nos enfants étaient au milieu de tout ça. Alors l'idée que des enfants sont plus heureux avec un papa et une maman... Ca me fait bien marrer".
Il me dit que lorsque tu as des enfants, tu fais ce qu'il y a à faire pour eux, point barre.
Ma mère m'a dit la même chose, lorsque je lui en ai parlé. Inquiète, je lui avais dit "Mais imagine... Regarde la fois où je me suis coupé en pétant mon carrelage. J'aurais fait comment, si j'avais eu un enfant, avec ma main qui pissait le sang ?!" Elle avait rit : "Tu aurais fait avec. Et tu ne te serais pas posé la question !"
Elle m'a raconté cette fois, lorsque mon frère avait 2 ans ou 3 ans. Mon beau-père était venu l'agresser en bas de son immeuble. Il lui avait arraché des touffes de cheveux, l'avait jeté par terre, poussé contre la porte, l'avait insulté devant mon petit frère. Tout s'est passé en bas de l'immeuble mais aucun voisin n'était sorti, personne n'avait accepté d'être témoin, personne n'a appelé la police ou les secours.
Ma mère s'était calmement rendu aux urgences avec mon petit frère, l'avait rassuré, lui avait dit que ça allait, elle avait joué avec lui dans la salle d'attente, elle avait dédramatisé le sang et les 7 points de suture, elle lui avait fait à manger le soir, l'avait couché et raconté une histoire.
Puis, lorsqu'il s'était endormi, son corps avait lâché, elle s'était effondrée au lit, avec l'impression d'avoir été renversé par un 33 tonnes. Elle a été arrêté plusieurs jours. Mais elle a continué à faire le job avec mon frangin.
Elle termine son histoire en disant "Tu ne te poses pas la question : tu fais les choses. C'est tout".
Je comprends.
Je repense à cette fois où j'ai été garder les filles d'une collègue, j'avais une migraine à m'ouvrir le crane avec les ongles - arrivée chez elles, je me suis occupée des filles, je les ai douché, couché, j'ai déjoué les tentatives de négociation d'heures de coucher "On ne se couche pas comme les humains, on est des panthères, graouh !". "Ah ! Ca tombe bien, je suis gardienne de zoo ! Dans vos cages les félines !". J'ai raconté des histoires en faisant des voix, j'ai hululé comme un hibou, hurlé comme un loup, puis lu l'histoire de Tchoupi qui s'habillait tout seul. Lorsque je suis repartie et que je me suis installée devant mon volant, la migraine est revenue au premier plan, si brutalement que j'ai cru que j'allais en vomir.
Un temps pour tout.
Tout comme cette fois où j'avais une gastro à en crever, mais que je devais bosser 10h d'affilées un 23 décembre à la caisse d'un Hall du Livres.
C'était juste pas négociable : il fallait le faire, oublier l'envie de se vider, et tenir jusqu'au soir.
Et je l'avais fait - tout simplement parce qu'il le fallait.
Peut-être qu'en réalité, je saurai faire.
Oui, je crois que j'ai ça en moi.
Puis j'aborde le sujet avec Claire, une jeune médecin qui vient régulièrement loger chez moi en Airbnb depuis plusieurs mois. Elle est drôle et sympathique, elle adore mon chat (qui lui rend bien), et elle a des pieds magnifiques que je lorgne, émue, lorsqu'elle enlève ses chaussures. Désormais on se tutoie, et on mange ensemble dans de joyeux éclats de rires lorsqu'elle vient.
Je suis intéressé par son avis, forcément teinté par son métier. Je m'attends à rencontrer la première personne hostile, depuis le début de mon "sondage".
Elle me fera néanmoins une réponse parfaitement inattendue ; elle haussera les épaules, et dira :
- Tu sais, je pense qu'avoir un projet d'enfants seule, le préparer de cette façon, c'est une bonne façon de faire. Si c'est prévu ainsi dès le départ, tu le vivras bien - bien mieux que si tu te faisais quitter pendant ta grossesse ou après la naissance ! Tu sais où tu vas dès le départ.
La semaine suivante, je parle avec ma prof de sport, dans le vestiaire. On est seules et je suis un peu froide parce que je ne l'aime pas beaucoup ; je la trouve bruyante et vulgaire, et je ne supporte pas sa façon de ne pas réussir à prononcer correctement "milieux". Ca m'exaspère, à chaque cours elle beugle "Mettez votre barre au miyeux", et je grogne systématiquement "miLieux bordel, c'est pas dur, milllllieux !"
Pourtant seule à seule, la conversation est agréable et je me détend. Elle sort de la douche nue, ses seins en avant (ah ! J'étais certaine qu'ils étaient refaits !), et puis sans crier gare, alors qu'on ne se connait pas, elle me parle de ses enfants, ados, qu'elle élève seule et sans aucunes aides. Son mec l'a largué et l'a menacé : si elle dit au juge qu'il ne lui donne aucune pension alimentaire, il lui fera du mal. Alors pour avoir la paix, elle se débrouille sans. Elle ne touche que son smic de la salle de sport, n'a pas droit aux aides de la caf, rien du tout.
Epouvantée, je l'écoute, mais je comprends - même si ça me révolte. Peut-être qu'en faisant ça, elle évite l'agression en bas de son immeuble, les points de suture à l'hôpital, et la plainte classée sans suite faute de témoins.
Je me dis qu'en effet, mieux vaut faire des enfants seule que de se retrouver dans cette situation.
Elle me dit qu'elle ne veut plus d'hommes dans sa vie, que ça la terrifie, qu'elle ne veut surtout pas risquer de revivre ça.
Elle me demande si j'ai des enfants, si j'en veux.
Confidence pour confidence, je lui parle de ce désir, de ce questionnement sur la PMA. De mes doutes, aussi : comment faire avec mes horaires de boulot ? Avec mon budget ? Avec ma vie ?
Même réponse : "Tu trouveras. On trouve toujours"
Elle approuve complètement l'idée. Elle est archi convaincue.
"De plus, si tu fais des enfants toute seule, tu toucheras le pactole : contrairement à moi, tu auras droit à toutes les aides. Tu t'en sortiras c'est certain !"
On discute joyeusement de tout ça, et sa confiance me fait un bien fou. Elle a raison.
Et, par ailleurs, enlever de l'équation un homme, c'est retirer les emmerdes potentielles. Oh, c'est un sacré sacrifice, je ne dis pas le contraire : en échange de la famille, du père, du couple de parents, il n'y aura personne. Certes, ça enlève la possibilité d'être quittée, de jeter un enfant au milieu de crises de couples, ça enlève les séparations potentielles et douloureuses.
Ça enlève aussi, sans doute, les ascenseurs émotionnels.
Il y a du pour, il y a du contre.
Il y a du négatif des deux côtés. Des sacrifices des deux côtés.
Ma prof de sport est convaincue, et cette conversation me fait chaud au cœur. Elle me dit "c'est drôle qu'on discute de ça alors qu'on se connait à peine".
Je me disais exactement la même chose.
"Je crois qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Les choses se mettront en place d'elles mêmes".
Je commence à le croire aussi.