dimanche 9 février 2020

L'amorce d'un mouvement


De retour de weekend, Isaac en veut toujours autant à son percussionniste.
Il m'envoie un message pour me proposer de me rejoindre le dimanche soir, et m'annonce dans le même temps qu'il a contacté Copine#1 pour lui proposer un "temps d'échanges", afin de mettre les choses à plat.
A peine m'a-t-il envoyé cette information (qui me laisse perplexe), que je reçois un message de Copine#1, affolée : « Mais ça part de quoi, cette histoire ?! ».
Je n'en ai aucune idée.
Et plus j'y pense, et plus ça m'angoisse.


Lorsque je revois Isaac, il est résolu : il va virer son percussionniste.
- Mais... Tu as un concert dans quelques mois, tu vas faire comment ?
- Ben au pire on ne le fera pas, voilà.
- On ne le fer... Non mais tu déconnes ?! Par fierté masculine, tu foutrais en l'air une date qui tombe du ciel, dans un endroit que tu adores, ici dans notre ville, parce qu'un mec que tu détestes à dégoisé sur ton dos pour dire le genre de truc que tu dirais toi même sur lui ?!
- Oui.
- ......Non mais ok, tu as raison. Et puis d'ailleurs après tout ça règle tous les problèmes, comme ça on ne se demandera pas si je viens ou non à ton concert.
(Oui, parce qu'évidement j'aurais envie d'y aller, et bien sûr Victoria y sera. On n'en n'a pas encore parlé. J'en suis arrivé à la conclusion que je pourrais y aller après le début, et partir avant la fin, et me cacher pendant l'entracte. ...Avec tout ce que ça a d'humiliant)

Je l'encourage en tout cas à en discuter auparavant avec Copine#1, pour qu'il sache ce qui s'est dit exactement.
Et comme ils ont prévu de se voir deux jours plus tard, c'est l'occasion.

Toutefois, le lendemain, veille de sa discussion avec Copine#1, il me dit qu'il a deux choses à m'annoncer :
La première, c'est qu'il a déjà écrit son mail à son percussionniste. Il n'est pas envoyé, mais il est écrit.
Soit.
Autant dire que c'est réglé.
La deuxième, c'est que l'appart qu'il loue va être vendu par le propriétaire. Qu'il sera donc prioritaire s'il souhaite l'acheter - mais est-ce qu'il veut l'acheter ? On en discute un peu : l'appart est beau, bien situé, avec une vue imprenable. Mais ça reste un petit appart, mal isolé, dans une copropriété où les gens s'étripent. Sa mère n'est pas pour. Je suis moi aussi assez partagé (en plus je pense qu'il pourrait investir dans quelque chose de mieux). Il décide d'en discuter avec la concierge de l'immeuble (qui, quelques jours plus tard, lui déconseillera l'achat).
La question se pose : comment va-t-il faire ? Où va-t-il aller ?
Et puis l'appart étant un meublé, il n'a rien à lui, ou presque.
- Il n'y a que la table basse qui est à moi.
- Ah c'est con, c'est le meuble le plus moche de ton appart !
- ... C'est Victoria qui l'a fait.
- Ah.... Heuuuu..... 

Il devra être parti le 30 avril.

Autant dire demain.

Et puis normalement, milieu d'année, il est censé postuler sur un autre poste de direction, pour monter en grade ; c'est le schéma logique de ce genre de boulot : monter, monter, toujours monter, et changer de villes tous les cinq ans. 
Ça fait cinq ans qu'il est ici. 
J'y pense, et je lui dis.
Et implicitement, la question qui flotte : « Le jour où tu changes de ville, c'est forcément fini entre nous, n'est-ce pas ? ».

Et puis après tout, sa gonzesse voulait acheter.
Ça va peut-être enclencher tout ça ?

Peut-être que cet événement va tout chambouler, et précipiter la fin de notre histoire ?

En tout cas, il y a indéniablement une amorce de mouvement - reste à savoir où ça mènera, et si ce sera à mon avantage ou non.

Je me sens dépassée par tout ça. 
Dépassée par ma vie, par l'implication émotionnelle qui est la mienne dans cette histoire, et tous les événements de ma vie perso auxquels je dois faire face. Sa vie, Victoria, mes choix, mon futur, la valse de ces putains d'artisans chez moi, ma salle de bain en ruine, ce cours d'économie que je dois donner dans deux semaines et qui 1. n'est pas prêt, 2. Me fait réaliser que je ne comprends rien aux chiffres et que j'ai outrepassé mes compétences - mais maintenant c'est trop tard, et je suis glacée d'angoisse. Sentiment d'imposture - basé sur une réalité : Pourquoi j'ai accepté de donner ce cours ? Qui suis-je pour m'improviser prof ?!
Je dois impérativement m'éloigner des choix qui ne me concernent pas, le laisser prendre ses décisions, et me concentrer sur mes soucis - j'en ai suffisamment !

Le lendemain, je dois retrouver Copine#1 et Isaac. Ils se retrouvaient à 18h pour discuter, Copine#1 m'a dit : « Viens à 19h, c'est bien, n'arrive pas en retard, j'ai peur que nous n'ayons plus rien à nous dire avant, ça va être gênant ! ».
Je lui dis de m'envoyer un message s'il faut que je débarque plus tôt.
A 17h, je regarde l'heure toutes les minutes.
A 18h, j'ai le cœur au bord des lèvres.
A 18h40, je m'habille et je décolle.
Je suis fébrile.
Je n'ai aucunes nouvelles.
Lorsque je sonne, il faut un temps considérable avant que Copine#1 ne m'ouvre.
Je m'imagine, bêtement, qu'ils sont nus et s'envoient en l'air.
(Je ne suis plus à une angoisse près)
Je suis flippée, mal à l'aise, et je me dis que c'était idiot qu'on se retrouve après. Qu'il y a un fossé entre eux et moi, qu'ils ont parlés, partagés des choses dont je suis exclue, et on n'est pas sur la même longueur d'ondes. 
On n'aurait pas dû faire ça comme ça.
D'ailleurs ça se voit et ça se sent : ils s'assoient plus près l'un de l'autre, il y a une sympathie et une entente qui est palpable. C'est à la fois passionnant à observer, et malaisant pour moi.
Au final, je déteste cette situation.

Plus tard, lorsqu'on rentrera chez Isaac, je ne poserai pas de questions. Il dira juste : « Je pense qu'il faut qu'on se revoit, on n'a pas fait le tour. Et ce qui s'est dit... Je pense qu'il vaut mieux que ça reste entre elle et moi. De toute façon il n'y a rien que tu ne sais pas déjà. Mais ça m'obligerai à évoquer des choses qui te blessent. Et par ailleurs, l’intérêt était aussi que je la rassure, et sur mes intentions, et sur ma sincérité. Elle était inquiète. Je pense que j'ai su répondre à ses inquiétudes. Et pour le détail... Ça devrait rester entre elle et moi ».

Je déteste vraiment, vraiment, vraiment cette situation.

Le lendemain, Copine#1 me demande si on a parlé. Je secoue la tête. Elle me dit que de toute façon, c'est lorsque ça commençait tout juste à devenir intéressant que je suis arrivée. Mais qu'il n'y a rien de nouveau, en fait.
Elle me dit juste « Ecoute... Cette histoire va devoir finir. Il ne le fera jamais. Il ne prendra jamais une décision. Toi tu dois réaliser que tu ne vas nulle part. Que rien ne changera. Alors... Prépares toi... ».
Elle me dira que, visiblement, je suis incapable de gérer ce genre de configuration. Qu'elle pensait que tout le monde pouvait être polyamoureux, tout le monde pouvait mener la vie qu'elle mène, et elle s'est trompé. Elle s'excuse : « Je n'ai pas l'habitude de me sentir coupable dans ma vie... Mais je m'en veux de t'avoir mise dans cette situation, d'y avoir contribué. Je m'en veux de te voir vivre ça. Je te présente mes excuses ».
Elle a la gorge serré, et moi j'ai les larmes aux yeux.
Elle dira aussi :
« C'est tellement dommage... »
Je pleurerai au bureau, après ça. Puis le soir, quand assez abruptement elle me dira, alors que nous serons au resto avec les filles « De toute façon tu t'es enterré, avec ta maison dans ta cambrousse ». 
C'est trop pour moi - car finalement, elle a surement raison. Quel avenir me suis-je construit ? Je ne fais que des mauvais choix.
Mais j'ai fait ce que j'ai pu.
Qui serait-elle à ma place, si elle avait eu ma vie ?

A quoi ça sert, tout ça ?
A quoi ça sert, qu'ils parlent tout les deux ?
Qu'on se donne l'illusion de construire des choses ?
A quoi ça sert qu'on s'use dans les relations humaines, qu'on s'implique, qu'on y croit ?
Qu'on s'investisse émotionnellement ?
Qu'on passe des bons moments ?
Qu'on s'aime ?
A quoi ça sert de vivre ?
A quoi ça sert ?!

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