samedi 27 juin 2020

Ce qu'il s'est passé avec Isaac (2/5)


J'avais donc commencé mon deuil, et je m'étais persuadée qu'Isaac ne m'écrirait plus. Il m'avait quitté et était parti en vacances avec Victoria, n'avait donné aucune nouvelle... et moi j'avais décidé de rénover entièrement mon salon.
Et puis à la fin de sa semaine de vacances, il me proposait qu'on se voit.
Comme s'il n'y avait pas eu la rupture.
Comme s'il n'y avait pas eu 8 jours de silence.
Comme si de rien n'était.


J'étais en bleu de travail, à retoucher la peinture de mes murs.
J'ai lu son texto, envoyé dans la matinée.
J'ai continué à peindre mon mur, pensivement.
Voulais-je le voir ?


J'ai réfléchi quelques heures.


Puis j'ai accepté.


Je l'ai rejoint chez lui vers 21h, après avoir été au cinéma.
Je l'ai regardé comme si je le découvrais.
En montant dans l'ascenseur, j'avais même eu un doute : c'est quel étage, déjà ?!
Nous avons été manger une pizza. Il s'est mis à me raconter sa semaine de vacances. Le gite - parfait, évidemment -, la découverte inattendu d'un vigneron excellent. Ses vacances supers. Victoria.
Je me disais : « Mais pourquoi il me raconte ça ?! ». Je n'avais aucune envie de l'entendre me parler de ses vacances en couple, nous qui ne vivrons jamais de vacances ensemble, et qui ne serons jamais un couple. L'entendre me dire que tout était parfait. Je me demandais ce que je faisais là. Je me demandais comment c'était possible d'être aussi maladroit... ou égocentrique. Si peu soucieux du mal que ça pouvait me faire.
Je le regardais.
Son regard exalté, tellement heureux de me raconter ses vacances, sans songer une seconde que c'était déplacé.
Ce décalage, entre lui et moi.
J'ai commencé à regarder autour de moi.
La valse des serveurs.
Les sièges rouges. 
La porte d'entrée.
Les clients.
Mon regard a dérivé sur le lustre, un immonde machin en cristal, presque beau dans sa laideur ostentatoire. Je me suis demandée comment ça pouvait être à la fois beau et à la fois très moche.
J'ai soupiré.
Qu'est-ce que je fais là ?
Est-ce que j'ai bien fait de venir ?
Pourquoi je suis venue ?
Je me suis soudain aperçue qu'il ne parlait plus, et qu'il me regardait avec un petit sourire.
J'ai raccroché à la conversation tant bien que mal.
J'avais l'impression qu'un gouffre s'était creusé. Mais visiblement, j'étais la seule à le penser. Je crois qu'il était revenu de vacances en étant la même personne qu'à son départ - mais moi, je ne l'étais plus. J'étais une autre personne, qui avait vécu la rupture, sa vie parfaite et son départ en vacances, qui en avait conçu beaucoup de souffrance, et qui s'était dit qu'elle pouvait survivre.
En gros, j'avais commencé le deuil - et lui n'avait rien bougé dans sa vie.


Les jours suivants ont été assez confortables ; je voyais Isaac tout en gardant une distance, et en me disant que j'y arrivais. Je m'émerveillais de mon détachement.
Ce détachement me permettait d'être plus ferme. De ne pas lui laisser dépasser les bornes. De poser mes limites. Ça semblait presque simple, soudain.
… Je savais pourtant que je jouais un jeu dangereux.
Car bien sûr, cette distance n'a pas été facile à garder. Comment aurais-je pu ?! Les sentiments étaient toujours là, et Isaac, quand il n'était pas provocateur (contrairement aux semaines passées), était charmant. Et d'ailleurs étonnamment, mon comportement l'amenait à être beaucoup plus à l'écoute, et prévenant. (Les relations ne sont-elles donc condamnées qu'à être des bras de fer permanents ?)
Cependant, quelque chose s'était tout de même mis en place en moi : la certitude, désormais, que je pouvais survivre. Pas facilement, évidemment. Mais j'avais commencé à traverser le pont - et j'avais vu que je pouvais le faire.

Nous avons eu une conversation, un soir. Il me disait que rien n'avait changé, que nous étions comme avant.
Surprise, je lui avais répondu que tout, absolument tout avait changé. Qu'il y avait eu une rupture. Que je l'avais vécu (on pourrait même dire "prise en pleine gueule"), que ça avait tout changé.
"Ah ? Pas pour moi. On a continué de se voir comme avant, après tout".
J'ai dû redire cette phrase que j'ai le sentiment de devoir dire à tous les hommes que je rencontre : Réalises-tu que les mots que tu dis ont un sens ? Et qu'ils coupent ?! 
Le fait qu'il verbalise la rupture, ça n'avait aucune portée, pour lui ?
Visiblement, non.


Je continuais à me reconstruire (ou tenter de), je me sentais très fragile, entre Isaac, la tentative d'écriture à mon oncle (qui n'était pas du tout concluante), et tout le reste. Je faisais un pas à la fois.
J'essayais encore de remettre ma vie sur les rails, à tenter de retrouver un équilibre, à ne pas me laisser submerger par le travail. On commençait tout juste à parler du Covid, mais c'était une menace encore très lointaine, et complètement étrangère à mes soucis actuels. On disait "Tout ça pour une grippe, ça va aller !".
J'ignorais encore que justement, toutes les choses sur lesquelles j'avais travaillé au boulot, au point de mettre ma santé en danger, allaient être annulées une par une.

Un jour, Isaac m'a fait remarquer que je ne proposais plus rien : "Ce n'est plus toi qui écris, qui propose qu'on se voit".
Non, ce n'était plus moi, car il y avait eu la rupture. Et désormais, j'avais décidé de ne plus rien initier. D'autant plus que, plusieurs fois, il m'avait reproché d'avoir refusé la rupture définitive. Je me sentais déjà assez minable, et je refusais de mendier des moments avec lui.
Bien sûr, je n'ai pas dit les choses comme ça. Mais en tout cas, je lui ai dit qu'en effet, je ne proposerai plus rien.
C'est donc lui qui initiait nos moments à deux.
Ceux-ci n'étaient pas désagréables, cela dit. Nous retrouvions une forme de routine. Le plaisir de se voir. Nos nuits toujours aussi extatiques - voire encore plus qu'avant. L'odeur de sa peau me rendait toujours aussi folle - même si je ne m’autorisais plus de gestes tendres, ni de surnoms affectueux.

Pourtant, je craignais continuellement le moment où il dirait "Maintenant c'est terminé".
Je le croyais capable de retourner sa veste aussi sèchement, sans prévenir.
J'ouvrais ma boite mail avec angoisse chaque jour. Je m'attendais à chaque instant à recevoir un message de rupture.
S'il m'envoyait un message sur Messenger, le temps que j'ouvre la discussion, j'avais le cœur au bord des lèvres.
Je recevais ses textos avec appréhensions.
J'étais sûre que c'était imminent.
Ça me bouffait.

Il ne parlait plus de ce poste qui devait se libérer en juin dans le département voisin, et qu'il visait.
Je me disais que son départ serait notre rupture.
Quelque part, je m'y accrochais : s'il quitte la ville, ce sera forcément plus simple, non ? Plus aucunes possibilités de se voir. 
Dead end.
Et aucun risque de le croiser.


Mais il y avait aussi les choses que nous devions faire ensemble : Le séjour de rêve qu'il m'avait offert à noël, des concerts et des spectacles. Je voulais que ces choses soient passées, je souhaitais ardemment qu'on vive ces événements planifiés, et qu'il n'y ai plus aucun projets. Plus d'attentes. Ne plus ressentir l'angoisse que ça n'arriverait jamais.
Dès le début, je craignais de ne jamais réussir à faire ce séjour. Je l'ai désiré très fort, pourtant : un séjour à deux, une bulle hors du temps, loin de tout. Faire semblant. Imaginer, l'espace de deux jours, que nous passons des vacances à deux. Mais dès qu'il me l'a offert, j'étais sûre qu'on ne le ferait jamais. Pourtant, nous avions trouvé une date commune. Il avait trouvé une bonne excuse à donner à Victoria. J'avais posé des congés. Lui aussi.
Paradoxalement, ça m'angoissait encore plus - qu'allait-il se passer pour que ce séjour n'ai pas lieu ?!
La réponse viendra quelques semaines plus tard : le Covid annulera tout. Les concerts, les spectacles, le séjour. 
Comme pour mon travail, toute l'énergie dépensée n'a servi qu'à faire "plouf !".
Comment trouver du sens, là dedans ?!


Et soudain, il s'est mis à me dire qu'il allait acheter son appartement.

Je ne comprenais plus rien.

J'ai arrêté d'essayer de suivre.

C'était trop douloureux.

Mais je me suis mise à espérer, à nouveau. A me demander ce qui allait encore changer.
Je n'avais pas encore réalisé qu'acheter un appartement, pour Isaac, ce n'est pas vraiment un gros investissement ni un bouleversement dans sa vie : Il peut acheter cash un appartement qui coûte le prix de ma maison - et que moi je rembourse sur 20 ans.


Et puis il m'a dit que Victoria allait venir passer le weekend dans notre ville.

Ils prévoyaient d'aller à un concert le samedi, puis aller bruncher dans mon café à Chaï préféré le dimanche matin, où j'avais emmené Isaac pour la première fois (et où je voulais moi aussi l'emmener bruncher - raté, comme pour le reste, c'est Victoria qui passe avant).
Dans l'ensemble ça me rendait malade à en crever de savoir et d'imaginer qu'elle allait être dans notre ville (a.k.a le seul endroit où je pouvais vivre notre semblant de relation avec Isaac, à peu près la seule chose que je pouvais avoir), dormir dans le lit où on faisait l'amour, et bruncher dans mon café préféré.
"Je le connaissais avant toi, ce café, m'a-t-il dit. C'est juste toi qui m'y a emmené en premier, c'est tout". 
Sous-entendu : Restes à ta place, Mademoiselle B.
J'en avais la nausée.
Et j'avais atrocement mal.

Heureusement, j'avais prévu, avant de connaitre son programme, un weekend dans un centre de méditation, à 80 kilomètres de là. Je m'absentais 3 jours. Ça tombait merveilleusement bien.

2 commentaires:

  1. Oh, cette petite souris a été sauvée des griffes du chat?

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    1. Oui, sauvée des griffes du chat, et qui a trouvé que mes mains étaient un endroit confortable et rassurant (après s'être planquée dans ma manche) ! Elle est repartie saine et sauve dans la vie sauvage de mon jardin.
      [Aucun animal n'a été maltraité pour faire cette photo, etc etc]

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