lundi 1 juin 2020

Le Bilan du confinement


Pour réussir à concilier gestes barrières, liberté de s'exprimer et confidentialité, ma psy m'a proposé d'aller marcher en forêt. Ainsi pouvions-nous garder 1 mètre de distance, retirer les masques, et parler sans que personne ne puisse nous entendre. Par ailleurs, je trouve naturel de se livrer en marchant, et le faire au milieu des arbres est plutôt rassurant. 
Elle a également insisté sur le fait que la marche est un très bon antidépresseur, et nous voici donc parties à faire des séances d'une heure de marche en forêt.

Initiative qu'elle a peut-être un peu regretté lorsqu'elle s'est aperçu que j'ai tendance à marcher plus vite lorsque je suis énervée, ce qui est arrivé de nombreuses fois en une heure, et elle devait cavaler à mes côtés pour tenir mon rythme en haletant. 
C'est là où, entre deux cavalcades, elle m'a lancé : « Mais… pfffff…. pfffff…. Sinon….. Pffff….. Quel bilan…. hhhhhh….. Tirez-vous..... de ce confinement….. ? Pfffff pfffff. Qu'est-ce que ça….. vous…. a.... appris sur…. hhhhh…. vous même ? »
Je m'arrête, saisie.
Elle s'arrête aussi, bienheureuse, et reprend son souffle.
- Ah ben ça, c'est une bonne question !
Je repars.
Elle me suit, à l'agonie. 
Puis ose un petit :
- Vous marchez vite, tout de même.
- Oh pardon.
Je me souviens soudain qu'elle a plus de soixante ans, et peut-être pas forcément envie de faire un footing à mes côtes.
- Quel bilan ? Y-en-a-t-il eu un ?

Je lui parle de mon frangin, resté chez moi pendant plus d'un mois. J'ai tenté de parler avec lui, mais tout ce qui était personnel est resté bloqué. Pour autant, on a fait des choses ensemble, nous mangions tous les deux, …. J'ignore toutefois si ça nous a rapproché. Je n'en ai pas l'impression.
- Votre frère à 15 ans, Mademoiselle B. A cet âge là, soit les adolescents sont très volubiles, soit complètement muets. C'est normal. Par ailleurs, le cerveau des ados est encore en formation ; c'est pourquoi ils sont parfois incapables de prendre les décisions les plus simples : c'est la structure même de leur cerveau qui les en empêche. Mais ce que vous avez vécu là tous les deux laissera forcément des traces. Si vous vous n'en avez pas l'impression immédiatement, vous le verrez plus tard. C'est certain.
Je suis moyennement convaincue, mais cette histoire de cerveau en construction me rappelle une formation de psychologie que j'avais suivie, où j'avais appris que les ados sont naturellement psychologiquement "Borderline", donc je lui accorde. Nous verrons effectivement si nous en garderons une complicité plus tard.

Je lui parle ensuite de cette obsession de grossesse, d'enfants, qui me torture et m'a torturé tout le confinement : les rêves, le désespoir lorsque je voyais arriver mes règles, mon frangin à la maison que j'essayais d'imaginer être mon gamin juste pour voir, et pourtant ma raison qui me souffle que ce n'est pas le moment et que je n'ai pas les épaules.
Cependant, j'étais à deux doigts d'appeler mon ami Q., et de lui dire qu'on se voyait dès que possible pour lancer le processus.
- Avoir des enfants n'est pas uniquement une histoire de rationalité. Rappelez vous que nous sommes des mammifères. Vous ressentez des instincts de reproductions, et ce peut-être très difficile à vivre. Mais c'est commun, et c'est là où votre mental doit prendre le relai. Pour, peut-être, décider que c'est vraiment ce que vous voulez, d'ailleurs ! Mais méfiez vous, ne faites rien de précipité, nous avons vécu une période étrange, et ce n'est pas le moment de prendre des décisions, quelles qu'elles soient !

Je lui évoque ma peur de ce déconfinement, l'absence d'envie de retourner au travail, de devoir faire face à nouveau à mes problèmes, mes soucis, mes travaux, la situation avec Isaac, mes devis, l'argent qu'il faut trouver, les artisans qui me prennent pour une cloche…. Le stand-by était finalement assez confortable. En plus j'avais trouvé une forme d'équilibre : j'allais coudre des masques bénévolement pour l'Association des Paralysés de France (sous la direction d'une polonaise magnifique, aux grands yeux bleus, qui prononçait mon nom avec son accent irrésistible… : j'étais un peu amoureuse), je télétravaillais un peu, je jardinais, tous les jours je faisais 20 minutes de sport en visio avec mes collègues, je faisais des visio régulières avec plein de monde, puis cette cohabitation plutôt équilibrée avec mon frangin, qui s'est mis à me faire la cuisine tous les jours...
- Avez-vous entendu parler du syndrome de la cabane ? C'est le risque encouru par cette longue période de confinement. Vous étiez chez vous, avec tous les soucis à l'extérieur, mais qui devenaient de plus en plus lointains. Comme dans une petite cabane au fond des bois. Et finalement, on s'habitue à cela, on se dit qu'elle est plutôt confortable, cette petite cabane… Mais on perd pied avec la réalité. C'est pour cela qu'il était urgent de déconfiner les gens, de les remettre dans la réalité. Est-ce que vous vous sentez particulièrement fatiguée ou déprimée ?
- Très angoissée surtout. Mais je crois que ça passera vite, au fur et à mesure que je me remettrai dans le bain… Même si je n'en ai pas envie.
- C'est exactement ça. Il faut reprendre possession de sa vie. Et peut-être y apporter des changements, effectivement, mais après mures réflexions. Alors, qu'est-ce que vous avez appris sur vous même pendant ce confinement ? Vous n'avez toujours pas répondu !
- Ah ? Hum… J'ai réalisé qu'en deux mois de confinement, je n'avais pas pu faire la moitié de ce que j'avais prévu de faire - et que j'avais déjà en projet avant le confinement, pensant pouvoir faire tout ça alors que je bossais à temps plein. Je veux faire trop de choses, je me submerge. Voilà ce que j'ai appris. ...C'est pas folichon.
- Au contraire, c'est très bien d'en avoir pris conscience ! Ca signifie quoi, selon vous ?
- Qu'au final, en me mettant des objectifs inatteignables, je me mets continuellement dans des situations d'échecs. Je suis un tyran avec moi même. Et ce n'est pas ça qui va améliorer mon estime de moi...
- C'est plutôt positif !
- Ah vous trouvez ?!
- Oui ! Maintenant que vous en avez pris conscience, vous allez pouvoir corriger tout ça !

***

Mon frère est resté chez moi un peu plus d'un mois. Ma mère est venu le rechercher (et est resté une semaine chez moi, notamment pour fêter mon anniversaire), et ils sont repartis tous les deux hier. Je me retrouve seule, tiraillée entre le plaisir de pouvoir faire le point avec moi même, et la crainte de cette solitude retrouvée, qu'il va me falloir apprivoiser à nouveau.
(En plus, le frangin m'ayant fait à manger tous les jours depuis qu'il est là, je ne sais plus cuisiner).
Ca viendra.

Le confinement a dû aussi provoquer de graves distorsions dans la tête de mon coiffeur : j'y suis allé il y a quelques jours, et… je crois qu'il nous a fait un revival 80'. J'ai une coupe atroce, court d'un coté, (trop) long de l'autre, et je crois qu'il ne me reste plus qu'à apprendre le synthé et mettre des boucles d'oreilles en plastique fluo.
J'aurais dû me souvenir que mon coiffeur est (un vieux) gay, et prévenir que je ne voulais pas devenir le sosie de Nicolas Sirkis.
(Trop tard)

Je reprends le travail à temps plein demain. Le déconfinement a été rapide, trop rapide pour moi. Soudain tout rouvre, tout est avancé - j'étais pas tout à fait prête. Mais là encore, il va bien falloir reprendre le rythme, et retourner à la vie d'avant.
...
Ou effectuer quelques changements à cette fameuse vie d'avant, et la rendre un peu moins exigeante et tyrannique.

Ca passera peut-être par m'octroyer des moments de détentes, notamment dans mon jardin, dans lequel j'ai beaucoup travaillé - désormais, ce serait peut-être temps d'en profiter un peu...

Après
Avant

2 commentaires:

  1. magnifique travail dans le jardin, tu peux être fière. C'est marrant, j'ai profité du confinement pour me faire une terrasse :)
    C'était vraiment une sale période, ce confinement. Je reprends demain, pour de bon, en espérant retrouver ma motivation qui n'est clairement pas à la maison.
    J'aime bcp l'idée du rdv psy en forêt!

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    1. C'est vrai, je me souviens que tu en avais parlé dans un commentaire ! J'espère qu'elle est à la hauteur de tes attentes et que tu en profites bien :)
      Je confirme, la motivation n'est pas à la maison…
      Ma psy a eu une idée grandiose en effet. Le rdv en foret, c'est parfait, et ça permet de contourner habilement les contraintes. Ca pourra peut-être même rester par la suite - moi je serai partante en tout cas !

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