vendredi 10 janvier 2020

La déclaration


Après m'être fait remonter les bretelles par Copine#1 devant un Chaï et un Carot Cake dégoulinant de glaçage (heureusement qu'ils étaient là), je suis allé chez Isaac le soir. J'ai pris le temps de rentrer chez moi prendre une douche, puis je l'ai rejoint, très mal à l'aise, en me disant : « Mais qu'est-ce que je pourrais bien lui dire ? J'y arriverai jamais ! »

En effet, je n'ai rien pu dire.


Nous avons occulté la grosse discussion de dimanche, avons parlé d'autre chose. Je n'étais pas vraiment à mon aise, et pas vraiment concentré sur la conversation. Je le regardais, et me disais : « Mais quoi, je devrais couper la conversation, et dire "au fait, puisqu'on ne parle pas du tout de ça, je souhaiterais dire que je tombe amoureuse de toi" ?! »
Je me suis dit que ce serait surement plus facile pendant/après l'amour, dans la semi-obscurité de la chambre.
Tout en sachant très bien qu'on parle rarement après l'amour... et que je n'aurai pas plus de courage à ce moment là.

La soirée se passe, je mange peu, j'ai mal au dos, je suis mal à l'aise, mais on parvient à tenir une conversation cohérente... même si tout me parait superficiel.
Puis nous nous embrassons, nous effeuillant dans le salon, avant de rejoindre la chambre. Je suis nue bien avant lui, à me tortiller sous sa langue. Je veux le voir déboutonner son pantalon, mais je loupe ce spectacle que j'aime tant et qui m'excite. Je jouis sous sa langue, il jouit longuement en moi, poussant des grognements presque animaux.
Plus tard je le prendrais dans ma bouche, mais ne parviendrais pas à le faire venir. Il finira par guider mes doigts, avant que je ne le laisse complètement faire, l'observant, excitée, se masturber devant moi.

Evidemment, je ne dirai rien, ni le soir, ni la nuit, ni le matin.

Prise d'un sentiment d'urgence, le lendemain je me mettrais à la rédaction d'une lettre à son intention. Toute la matinée, je balancerai des mots sur mon clavier, sans savoir ce que je veux dire ni où aller : je sais vaguement que je veux évoquer mes sentiments, et je passe finalement par 4 pages Word de bordel déstructuré pour en arriver à "Je tombe amoureuse de toi". 

J'ai rarement galéré à ce point sur un texte.

Je me relis une fois, suis consternée, cherche comment améliorer mon texte, réalise qu'en fait tout est à jeter, je me dis qu'il faudrait que je recommence à zéro, j'en suis incapable, du coup, prise de panique, je décide de tout copier dans un mail et d'envoyer au plus vite, avant de changer d'avis. Je m'aperçois que j'ai des tas d'adresses mail différentes, je grommelle après Isaac et ses multiples engagements, me disant qu'il a surement aussi une adresse mail franc-maçonne en "@secret-complot.fr, ça me fait bêtement marrer, et je finis par opter pour une adresse wanadoo avec laquelle il m'a envoyé des articles.

Bien sûr, je passe ma journée à regretter mon texte, mon geste, mes écrits. Je guette ma boite mail, mais je ne peux pas savoir quand il m'a lu (ou s'il l'a fait) et son silence m'inquiète. J'ai l'impression d'avoir fait une grosse connerie.
En sortant du boulot, je rentre chez moi, je peins, je fais une toile qui représente Victoria, puis je lis, avant de foncer chez le médecin pour mon mal de dos. 
Je n'ai toujours pas de nouvelles d'Isaac.
J'écris à Copine#1, lui explique, lui dit que je souhaite me terrer comme une petite souris tellement j'ai honte, et aussi que mon médecin est en retard, mais qu'il kiffera m'ausculter, parce qu'à chaque fois il me dit que, vraiment, il m'aime beaucoup.
Copine#1 est morte de rire, et lorsque c'est enfin mon tour, mon médecin me raconte sa life ("je suis tout seul à noël, quel tristesse !"), puis me dit que j'ai une lombalgie. Puis me demande :
- Sinon ça se passe bien avec votre mec, celui qui est déjà maqué ?
- Oh... Heu... Bien, très bien !
Je suis prise au dépourvu, et je réfléchis à toute vitesse, me demandant comment ce con est au courant - avant de me souvenir que je lui avais demandé il y a 3 mois une analyse de sang spéciale nouvelle relations (avec la totale IST), et que j'avais dû évoquer l'existence d'Isaac pour me justifier.
- Vraiment, j'aime beaucoup quand vous venez me voir, on passe toujours un bon moment !
Je me retiens de dire "oui enfin bon, j'ai le dos bloqué, merde !". 
Il me conseille d'aller voir un ostéo tout de même, je répond "oh... non... Je ne pense pas...", et puis je m'enfuis.

En sortant, je vois que j'ai un message d'Isaac, et je le lis, le cœur battant.

Très chère, ou mon adorable petit canard... Je viens de lire ton message qui m'a simplement bouleversé. Personne ne m'a jamais écrit quelque chose de si beau et d'aussi sincère. Je me dois de te répondre par écrit et je doute d'être à la hauteur de l'intensité de ce texte. Mais je pense que dans l'immédiat nous devons parler...
Veux tu me retrouver ce soir ? Ou laisser un peu de temps. De mon côté, j'ai très envie de te revoir dès ce soir. Ne serait ce que pour te rassurer sur un point : tu n'as nullement à t'en vouloir de ta réaction de dimanche. J'ai en réalité récolté la seule réaction que mon message pouvait susciter. J'attends de tes nouvelles. Je t'embrasse tendrement.

Entre temps, Copine#1 m'a envoyé un message "Si tu as besoin de te terrer, toi et ta honte, tu peux venir chez moi ce soir", et je lui répond "Bah en fait tout va bien ! Je le rejoins"

Je passe donc à la pharmacie, puis fonce chez lui. Je suis malgré tout assez intimidé. On s'embrasse, il prend mon manteau, l'accroche après son portant - tiens, c'est la première fois qu'il fait ça, d'habitude je laisse mon manteau sur une chaise.
On parle d'autres choses dans un premier temps, et j'essaie de faire durer la conversation, tant je suis flippée d'aborder mon mail - mais bon, il n'est pas bête, et il souhaitait en parler, donc il fini par mettre les pieds dans le plat :
- Et donc j'ai reçu un long mail de Mademoiselle B. ... Extrêmement touchant. Je l'ai trouvé très touchant.
- J'ai failli ne pas l'envoyer, tant il était déstructuré...
- J'ai trouvé que c'était très spontané !
- Ah, ça ! On peut le dire ! Un vrai merdier.
Il rit.
- Non, ça m'a beaucoup touché. J'ai été très ému. Tu évoques aussi bien tes sentiments que tes peurs, et finalement, depuis dimanche, tout ça était nécessaire. J'ai réfléchi, et j'en suis arrivé à la conclusion qu'on devrait être égoïste, et profiter du moment présent. Rentrer dimanche, ça m'a permis effectivement de comprendre que se creuser la tête pour savoir où on va, ça n'a pas de sens.
Il évoque le fait qu'on ne peut pas savoir où on va, que peut-être officialiser notre relation lui ferait perdre sa spontanéité, d'ailleurs le petit percussionniste lui a dit la même chose, que la passion perdrait en intensité si le contexte venait à changer (... ?) (on se demande un peu de quoi il se mêle, cet abruti) (d'autant plus qu'ils ne font que s'engueuler avec Isaac depuis des semaines). Il me parle de son couple avec Victoria, la routine, le fait qu'au bout d'un moment, c'est hormonal, l'attachement n'est plus le même, et puis si on officialise, on finira fatalement par faire moins l'amour, perdre en spontanéité... Qu'aujourd'hui Victoria et lui ont un tel niveau d'intimité qu'ils ne ferment plus la porte en allant aux toilettes. Que la passion du début est devenu autre chose, s'est transformé. Qu'un jour il se passe quoi ? Que tu vois l'autre tous le temps, tu t'aperçois qu'il ronfle, que tu ne supportes plus ça, et tous ces autres trucs qui apparaissent.
Je suis un peu perdu.
Pourquoi dit-il tout ça ?
Il parle ensuite de l'un de ses mentors, un économiste qu'il admire énormément. Il me raconte qu'il a une femme depuis des décennies, qui a eu de nombreuses maîtresses, mais qu'il est toujours resté avec sa femme frigide, parce que même s'ils n'avaient plus de relations sexuelles, il l'aimait profondément. 
Là encore, je me demande pourquoi il dit ça.
J'entrevois un futur possible de notre relation, un futur qui ne m'intéresse pas, et qui peut-être, lui, l'attire énormément. Victoria, c'est la passion qui est devenu un amour profond et sincère. Et moi... Je suis quoi ? La passion, l'étincelle ? La spontanéité, la surprise ? Et surtout je dois rester insaisissable et me renouveler constamment ?!
Est-ce que je lui dis que ce que j'aime dans une relation, c'est le moment où justement, la frénésie se transforme en quelque chose de plus doux, de plus profond ?
Non, c'est inutile.
Soudain je prends brutalement énormément de recul, comme si j'avais reçu un coup à l'estomac. Je réalise qu'il dit tout et son contraire, qu'il dit des choses au mec de copine#1, et d'autres choses à moi, et que les choses changent d'un jour à l'autre. Que soit il n'est pas honnête, soit il est pudique, soit il est perdu. Ce que je peux comprendre - mais je n'ai pas besoin qu'il me souffle le chaud et le froid à longueur de temps. Ses introspections en cours, peut-être qu'il pourrait les garder pour lui.
Je me dis que je dois juste me concentrer sur ce que je ressens moi. Que le jour où mes limites seront atteintes, je prendrai mon avenir en main, et j'agirais. Mais que je dois arrêter d'écouter Isaac - parce que là, quand même, il dit pas mal de conneries.

- Il faut qu'on arrête de se projeter, d'avoir des attentes, on ne peut pas savoir !
- ... C'est un peu ce que je te dis depuis le début !
- Oui ! Mais moi je le réalise seulement maintenant ! Mais cela dit ça me rendrait extrêmement triste que tu t'en aille. Vraiment très triste. Si toi tu as peur que je m'en aille, j'ai aussi cette peur, et je ne pourrais pas tolérer que tu me quittes sans m'en parler avant.
J'acquiesce. Il me l'a déjà dit dimanche. Ça me semble raisonnable. Cela dit, si un jour je veux une vie avec quelqu'un qui est prêt à s'engager avec moi, on pourra toujours en parler mais ça ne modifiera pas les données du problème !
- Mais je suis effrayé moi aussi. Effrayé par tout ça. Et par le fait que notre histoire... nous... C'est comme une évidence.
J'acquiesce. C'est vrai. D'ailleurs j'ai déjà employé ces termes, même si je ne lui ai jamais dit.

- Je pense que tu provoque très facilement des sentiments amoureux à ton égard
- Je pense que tu te trompes
- Je ne pense pas
- Moi je le pense
- Et moi je suis sûre de moi.
- Si tu veux, mais n'empêche que je ne suis pas d'accord. Et que je le sais mieux que toi, puisque je suis la première concerné.
- Je me sens une responsabilité morale à ton encontre. Je refuse de te faire souffrir, d'appuyer là où ça fait encore mal
Je tique
- Tu ne peux pas tout faire - et surement pas maîtriser mes ressentis ! Quoiqu'il arrive, je souffrirai, d'une manière ou d'une autre. Et la question, c'est de savoir quand ça ne sera plus équilibré... Et quand il faudra arrêter.
- Là c'est toi qui est froide et rationnelle.
(Dis le mec qui, froidement et rationnellement, considère que Victoria est une relation confortable où il n'y a plus de risques à prendre, et que moi je suis un calcul avec trop d'inconnues).
- ...Oui, sans doute.
- Quoiqu'il arrive, tu auras marqué très profondément ma vie. Déjà tu étais là pour le cap des quarante ans. Et puis même, tu... Tu n'imagines pas tout ce que tu m'as apporté.
Je réfléchis
- .... Non, sans doute pas
Et je crois qu'on me l'a suffisamment dit pour que je n'y crois plus une seule seconde.
- Je me dis qu'avec un peu de chance, au moins ce que je pourrais t'apporter, c'est une réconciliation avec la gente masculine. Je serai content, si je fais au moins ça !
Personnellement, moi cette hypothèse me fait horreur.

- Je crois que l'on doit vivre le moment présent, et voir comment les choses évoluent. Voir ce que le hasard mets sur notre route. Qui sait comment nous verrons les choses dans 1 mois, deux mois, six mois ?
Oui, je lui accorde cela.
- Et puis tu as tellement souffert ! Je refuse d'envisager que tu puisses souffrir à cause de moi. Tu as encore des blessures béantes, je dois faire attention à ça. Attention à toi. Moi je peux encaisser. Moi je survivrais à une rupture. Je suis solide, je le sais.
Je le regarde, saisie, et j'ai presque envie de rire. Est-ce qu'il réalise qu'il est en couple depuis douze ans ? Qu'il est dans une stabilité affective et sentimentale depuis plus d'une décennie ? Qu'il ne sait plus ce que c'est qu'un chagrin d'amour ? Qu'il n'a plus aucune idée de l'intensité de la détresse que l'on ressent dans ces cas là ? On a toujours l'impression de pouvoir gérer, et on est toujours surpris par la douleur que l'on ressent. Toujours.
Soudain je me dis qu'avec mes plaies béantes, je suis mieux armée que lui. Lui, l'orgueilleux qui pense tout maîtriser. Moi au moins, je sais à quoi m'attendre. Je mesure réellement les risques. Et c'est pour ça que j'ai peur.

Il dit aussi :
-Ne parlons plus de Victoria. Elle est là, bien sûr, mais quand je suis avec toi, je ne pense pas à elle. Alors ne parlons plus d'elle.
J'acquiesce, soulagée. Plus que jamais, je n'en peux plus d'entendre son nom.

Il me semble qu'il a plusieurs discours, que sa pensée évolue sans cesse. J'ai détesté cette discussion. Il referme les portes qu'il a ouverte, et soudain se prétend hédoniste. 
Je me demande si ça a servit à quelque chose que je me mette à nue... ? 
Bof. 
Bon, au moins c'est dit.
Mais sa façon de vouloir tout verbaliser d'une façon presque solennelle est trompeuse : en réalité, rien n'a changé. Peut-être essaye-t-il juste de faire bouger les lignes pour me retenir. Je ne sais pas.
Il me dit à nouveau qu'il répondra à mon long mail, qu'il le doit. Je pressens que sa réponse sera différente de son discours. Je suis curieuse de lire cela. Mais paradoxalement, je suis fatiguée d'avance. 
Tout ça joue un peu trop avec mes émotions.
J'ai besoin de repos, de recul, de distance.
Je crois qu'un petit quelque chose a cassé en moi.

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