dimanche 19 janvier 2020

Lettres fantomes

Isaac est en vacances pendant une semaine.
Je lui écris, pour ne jamais lui envoyer.

Dimanche 29 décembre 2019


Isaac,
On ne s'est pas vu depuis 2 jours, mais me voilà déjà en manque. Je sais qu'on ne se verra pas pendant une semaine, que tu es en vacances, que tu es avec Victoria, et que tu fêtes Nouvel An avec des amis.
C'est l'ordre des choses.
C'est la situation que j'ai accepté.
Pourtant je repense à ce que j'ai dit dans mon mail : être avec toi, c'est être presque aussi seule que sans toi. Et je crains que, seule chez moi pour Nouvel An, je n'en sois non seulement persuadée, mais particulièrement abattue.

J'ai vu Copine#1 hier et aujourd'hui.
Elle est à la fois à ma place, dans le rôle de la femme qui attend que l'autre quitte sa conjointe (concernant son Amant), et à la fois à ta place, dans le rôle de celle qui a deux personnes dans sa vie. Elle m'a raconté comme ses émotions peuvent fluctuer : passer du temps avec son mec, être en symbiose et en complicité avec lui, fait que lorsqu'elle retrouve l'Amant, elle n'a presque pas envie de le voir, et est agacée par lui... Le temps de retrouver la complicité. Ça ne prend pas très longtemps : 1 ou 2h. Mais ça lui fait dire qu'elle ne peut se passer ni de l'un de l'autre.
Et ça lui fait dire que tu ne quitteras jamais Victoria, quoi que tu en dises.
Je me suis demandé si c'était comparable. Copine#1 est polyamoureuse convaincue. Sa vision de la construction à deux est... incompréhensible pour moi.

Plus tard, je lui ai confié que j'avais besoin de faire des projets,parce que j'avais ressentie des down, dernièrement. Ça m'effraie : te laisser entrer dans ma vie, c'est te laisser la possibilité de provoquer des émotions chez moi.
Toi, ou n'importe qui d'autre, d'ailleurs.
Je me suis demandé si le jeu en valait la chandelle. Si je ne laisse plus jamais personne m'approcher, est-ce que je garderai un moral constant ?
Sauf que je repense à ces trop longues périodes de solitude, et je sais que non, ce n'est pas non plus la solution.
Sommes nous des créatures condamnées à passer de la peine à la joie, du rire aux larmes, avoir des émotions en yo-yo, toute notre vie ?
Je me suis interrogée tout haut : je ne pourrais pas supporter cette situation ad vitam, je n'y arriverai pas.
Copine#1 s'est agacée : « Eh bien quittes-le, qu'est ce que tu veux que je te dise ! Quittes-le, fais un gosse avec ton ami Q., deviens mère célibataire et on l'élèvera à 3 ! »

Je sais qu'on se comprend pas : elle ne voit pas où est le problème de partager un homme avec une autre femme. Elle ne veut ni famille, ni enfant, ni foyer. Elle refuse d'habiter avec qui que ce soit. Elle vit au jour le jour, et les projections à long terme lui paraissent absurdes. Mettre de l'argent de côté ne l'intéresse pas, envisager le futur la fait rire.
De fait, je comprends les raisons de son agacement : pour elle, à quoi bon quitter quelqu'un avec qui il n'y a priori pas d'avenir, si les moments que l'on passe ensemble sont agréables ? A quoi ça sert de réfléchir sur le long terme ?
Ce n’est pas complètement absurde...
Sauf que laisser la situation durer, est-ce que ce n'est pas retarder l'inéluctable ? Mais en ajoutant plus de difficultés à la chose ?
Est-ce que lorsque tu rentreras, tu me diras à nouveau que tu ne quitteras jamais Victoria, parce que tu auras passé une semaine avec elle, et que tu te seras souvenu de tout ce que vous partagez ?

Tu rentreras pile le jour où notre histoire aura 4 mois. C'est-à-dire en général le moment où il se passe un truc dans mes relations - et en général, ce n'est pas à mon avantage...
Je sais qu'il n'y a pas de règles, que la vie est une succession d'imprévus, mais les 4 dernières années ont vu se reproduire systématiquement ce schéma. Toujours.
Alors j'attends l’événement.

Je cherche ce que je peux faire pour reprendre le contrôle.
Je n'ai pas beaucoup de solutions, il me semble.
- Te quitter.
- Poser des limites.
- Faire le point à intervalles réguliers.
- Me faire confiance ?
- Attendre, laisser les choses se préciser.
- Me taire.
M'empêcher de faire des plans sur la comète, d'élaborer mille plans, mille scénarios, de passer par tous les états et ... me torturer, car au final c'est juste cela. M'obliger à dire stop lorsque mon cerveau s'emballe, dire chut lorsque les pensée viennent insidieusement tourner dans ma tête.

C'est facile, ça ?


Mardi 31/Lundi 1er janvier 2020

Mon beau violoniste,

La journée du 31 décembre fut triste. Pour contrer mon sentiment de solitude, je suis allée m'acheter quelques denrées un peu plus raffinées que d'habitude. J'ai fait une commande internet, mais je n'étais pas prête à me confronter au monde incroyable qui faisait des courses de dernière minute. J'étais triste, j'étais irritable, et je me suis pris la tête avec un vieux, qui trouvait que je n'avanças pas assez vite. J'ai fini par lui dire, agacée, de passer devant moi à la caisse. « Non mais je ne suis pas pressé », dit-il avec un sourire gêné.
Il me passe devant quand même.
Je soupire, excédée.
C'est dans ce magasin bondé que je reçois un message de toi. Un message "furtif", dis-tu.
Il est court, mais ça me fait un bien fou.
Je le lis et je le relis... Et finalement il me laisse sur ma faim.
Mais peut-être suis-je trop affamée ?
J'y répond, j'essaie d'y mettre de l'humour... Mais je crois que ma tristesse transparaît.
Tu ne répondra pas; j'aurais seulement un message un peu formel vers 2h du matin, des bons vœux. Tu me souhaites de trouver l'insouciance.
Ah ! L'insouciance !
Je finis par couper mon portable, nauséeuse de cette attente fébrile et stupide.
J'observe cet état de manque dans lequel je suis. Cette tristesse bileuse d'être seule lorsque tu es avec Victoria, avec vos amis de longues dates. 
Tiens, je commence à lui en vouloir. 
Ça c'est une émotion nouvelle.
Je déteste ressentir ça.
Plus que jamais, je réalise que ce que j'ai dit est fondamentalement vrai : je suis presque aussi seule avec toi que sans toi. Et lors d'un soir comme celui-ci, attendre, seule, un mot que tu pourras m'envoyer "en furtif" loin de son regard me fait me sentir encore plus seule, et infiniment triste.
Je crois que cet été, lorsque tu partiras plusieurs semaines en vacances, je ne pourrais juste pas le supporter. J'en serai incapable.

Finalement, la journée a été plus dur à vivre que la soirée.
Lorsque je suis rentrée de mon mini-shopping, j'étais effondrée.
Mais j'ai passé une soirée tranquille, j'ai trop mangé, finalement je n'ai pas bu - l'alcool m'a écœuré. J'ai regardé le feu d'artifices de Paris en direct, et ça m'a fait pleurer. Je me suis dit qu'un jour, j'aimerai voir ça en vrai. Même si il dure 5 min top chrono (c'est un peu l’arnaque non ?) mais c'est comme si le bouquet final durait tout ce temps, tant ça brille dans tous les sens.
Si l'année prochaine je suis seule à nouveau, je ferai ça.
Ou une retraite méditative - c'était mon projet cette année, mais je n'avais plus de congés pour poser des jours. J'aurais préféré, je crois, être coupée du monde et faire vœu de silence pendant 7 jours. Un silence que j'aurai choisi - plutôt que de subir celui de cette semaine. Ça m'aurait certainement reposée.

Je me mets à penser à des tas de choses, à craindre le pire, à me faire des scénarios catastrophes basés sur rien. Je crains que les choses ne rentrent dans "l'ordre" à nouveau : plus de messages quand tu es avec elle, et puis quoi, tu rentreras les weekend à nouveau ?
Je déteste cette situation d'attente.
Je déteste être dans cette position de princesse soupirante.
J'en arrive toujours à cette même conclusion que la situation ne pourra pas durer très longtemps comme ça.

Sauf que je ne veux plus en parler avec Copine#1.
Et que mes autres amis sont tous occupés pour les fêtes.
J'ai l'impression de n'avoir personne à qui parler.

Je me sens encore plus triste et seule.


Jeudi 2 janvier 2020

Je croise Copine#1 au boulot : « Ouch, tu as l'air complètement déprimée ! »
Je lui touche quelques mots de mon état, et quelques remarques amère sur ton silence que je ne supporte plus. Que je crains le jour où tu partiras plus longtemps, pour de "vraies" vacances.
« Bah, vu comme c'est parti, votre truc ne tiendra pas jusque là de toute façon ! »

Je quitte la pièce sans un mot.

En ce moment, Copine#1 et moi ne nous comprenons plus.

Elle m'a proposé qu'on fasse quelque chose un soir. Pour me changer les idées. Je ne suis pas sûre d'avoir envie. Je me sens jugée par elle, elle qui comprend mieux les relations humaines que moi, elle qui sait que tu ne quitteras personne pour moi, elle qui sourit de mon incapacité à accepter une relation polyamoureuse. Même si elle me rassure sur mes sentiments : oui, c'est normal de détester la copine de l'autre - tiens, d'ailleurs, elle détestait la copine de son mec quand elle était sa maîtresse, et elle déteste la femme de son amant.
Mais d'ailleurs, ça me fait penser qu'elle a plusieurs fois voulu quitté son mec car elle ne supportait plus d'être "l'autre". Et qu'elle attend que son amant quitte sa femme.
Finalement, oui, elle est polyamoureuse, mais voudrait être l'officielle à chaque fois. Nous sommes dans la même situation en réalité !

- Quand est-ce que vous vous revoyez ?
- Je ne sais pas. Pas de nouvelles. Rien de fixé. Peut-être dimanche soir, "comme d'hab" ? Mais il aura sans doute plein d'affaires, et il lui faudra repasser chez lui. Je ne sais pas.
- Il devrait s'aménager un "sas". Ne pas te revoir tout de suite. Pour effectuer la transition.
Je repense, épouvantée, à ce qu'elle m'a dit : ce sentiment d'agacement vis à vis de l'Amant. 
Je ne veux pas que tu ai ce sentiment vis à vis de moi !!! 
Mais si tu l'as, ça veut dire quoi ? 
Bon sang, vous n'êtes pas pareil, elle et toi. Je ne sais pas si c'est comparable.
En même temps, cela dit, j'ignore si je te verrais dimanche.
Je ne comprends pas pourquoi elle s'inflige des choses pareils. Cet équilibre de deux relations, c'est quand même très compliqué. C'est comme un jeu permanent avec les émotions et les sentiments. Non vraiment, elle et moi ne pouvons pas nous comprendre.

Toute la journée, j'ai fulminé. Je me suis énervée toute seule. A t'imaginer me dire, à ton retour, que tu ne la quitteras jamais. Que ce que tu m'as dit il y a une semaine, que tu n'envisageais plus ta vie sans passion amoureuse, était relégué aux oubliettes. J'ai imaginé que vous aviez à nouveau (ou nouvellement ?!) une sexualité épanouissante. J'ai imaginé me mettre dans une colère noir, te jeter de chez moi, et monter pleurer des jours entiers dans ma chambre. Te dire « Je ne peux plus entendre ça, je ne peux plus, sors, va-t-en ». Crier, peut-être. T'obliger à partir avant que tu ne vois mes larmes. Te les cacher.
J'ai commencé à envisager que tu me quitterais à ton retour -étonnamment, ce scénario est celui qui m'angoisse le moins, comme s'il était le moins probable. Et le reste me fait si mal, que ça me semble pas pire.

Et puis soudain, au summum de mon énervement, au milieu de cette rêverie cauchemardesque  où je te jetais dehors, j'ai eu une fulgurance : pourquoi suis-je énervée ? Pourquoi ce silence appuie à ce point sur des zones sensibles, pourquoi ça m'enrage, pourquoi ça me blesse ?
Bonne question. Qui m'a fait redescendre aussi sec.

Je me suis dit que j'allais t'écrire - pour de vrai cette fois, pas ici, pour ne jamais te le dire. Un petit mot. Pour (r)établir un contact. Tout simplement te dire que j'en ai besoin, et que tu me manques. Soit ce soir, soit demain.
Et chercher à comprendre cette réaction trop violente de ma part.
Ce sera sans doute enrichissante.


Vendredi 3 janvier

Ce soir, j'écrirai un petit mot. Un petit appel aux nouvelles. 

Cette résolution calme tout le reste.

A vrai dire, mes émotions d'une rare violence de ces derniers jours me semblent appartenir à quelqu'un d'autre : je me relis, et je suis sidérée de ce que j'ai ressentie.
Je réaliserai dans la journée que ces excès étaient visiblement des Syndromes pré-menstruel. L'arrivée de mes règles à fait littéralement chuter à zéro ces émotions excessives qui m'embarquaient comme une vague. Je les reconnais ; ça m'arrivait très fréquemment, auparavant. Mais ça faisait longtemps que ça ne m'était plus arrivé.

Tu me répondras - vite - que tu ne peux pas m'écrire.

J'apprécierais juste de recevoir ce message.
Puis je m'en voudrais :
Évidemment, que tu ne peux pas m'écrire !
C'est la situation, je le sais pourtant ! Je l'ai accepté. 
Je dois continuer à l'accepter - ou partir. C'est simple.
Je n'aurais pas dû écrire.
J'ai été égoïste.
Faible. 
Je me déteste.

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